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Pédagogie Explicite - Dossiers
Écrit par Form@PEx   
Mercredi, 03 Septembre 2014 13:23

Dossier

Les devoirs à la maison

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Source : À babord !

Normand Baillargeon

Professeur au département d’éducation et de pédagogie, UQAM

Impact des devoirs sur la réussite scolaire

 

 

John Hattie a synthétisé les recherches réalisées sur l’impact des devoirs sur la réussite scolaire [1]. Dans sa manière particulière de présenter ces résultats, le seuil auquel se situe l’effet désirable d’une variable ou d’une intervention éducative est 0,4 [2] [2]. Les devoirs, selon ses calculs, ont un effet de 0,29.

Cela signifie que les devoirs ont bien un effet positif sur la réussite scolaire (il est supérieur à 0), mais que cet effet n’est pas particulièrement élevé, ou n’est pas de ceux qu’on doit viser. La conséquence probable de cet état de fait serait de conseiller de les utiliser avec beaucoup, beaucoup de parcimonie. Mais les choses ne sont pas aussi simples et le tableau dressé est plus complexe. Voyons cela.

Cette mesure de 0,29 décrit en effet l’impact des devoirs au primaire et au secondaire. Mais lorsqu’on distingue les deux ordres d’enseignement, on obtient des résultats significativement différents. Au primaire, la mesure de l’effet des devoirs est de 0,15 ; au secondaire, elle est de 0,64. Cet écart est énorme et il faut s’arrêter à ce qu’il peut bien signifier.

 

Le cas du primaire

Au primaire, les recherches suggèrent que les devoirs devraient être utilisés avec prudence et retenue. C’est que les élèves, encore peu savants, ont du mal à distinguer l’accessoire de l’essentiel, à ignorer comme elle doit l’être l’information non pertinente et, travaillant seuls pour les faire, ils ne reçoivent pas immédiatement l’indispensable feedback qu’il leur faut recevoir.

De sorte que les devoirs qu’on donne aux élèves du primaire – ils ont leur place – devraient être centrés sur des tâches simples, des apprentissages par cœur (il en faut), de la pratique. En fait, écrit Hattie, avec ces élèves, des devoirs centrés sur des tâches spécifiques ont un plus grand impact que des devoirs centrés sur de la résolution de problèmes, ou visant à favoriser l’apprentissage en profondeur. Pour le dire autrement : des devoirs faisant appel à des niveaux plus élevés de pensée conceptuelle ou demandant de réaliser des projets sont les moins efficaces de ceux qu’on peut demander à des enfants du primaire. Les devoirs qu’on devrait leur donner devraient donc être de ceux décrits plus haut. Ils devraient aussi être réalisables dans un laps de temps relativement court (pas en trois heures !!!) et l’enseignante ou l’enseignant devrait en faire un suivi serré.

Il y a encore plus, et possiblement plus grave. C’est que des devoirs trop exigeants et mal adaptés à leurs capacités peuvent avoir des effets désastreux sur ces jeunes élèves : ils risquent en effet de renforcer chez eux l’idée qu’ils ou elles ne peuvent apprendre par eux-mêmes ou ne sont pas capables de faire des devoirs. Ils risquent donc de les démotiver. Ils peuvent aussi leur faire adopter des routines ou des conceptions erronées.

On le voit : au primaire, il faut faire preuve de prudence en assignant des devoirs aux élèves, n’en déplaise à ces parents qui jugent la qualité d’une école primaire à la quantité des devoirs donnés.

 

Le secondaire

Au secondaire, on l’a vu, la recherche montre que les devoirs ont un très fort impact (0,64 !). C’est que ces élèves, plus âgés, plus savants, sont plus en mesure de tirer des bénéfices de travaux qu’ils font typiquement seuls et chez eux et dont la réalisation demande plus de temps.

Cependant, ici encore, des devoirs en grande partie centrés sur des tâches précises, sur la répétition d’habiletés plutôt que sur de l’apprentissage en profondeur, restent les plus efficaces et les plus recommandables.

Mais puisqu’il est si bénéfique de donner des devoirs au secondaire, je pense que bien des élèves et bien des parents aimeraient que les enseignant(e)s se concertent pour ne pas donner (trop) de gros devoirs simultanément.

Et le rôle des parents, dites-vous ? J’y viens.

 

Les parents

Hattie n’en traite pas, mais la recherche s’est aussi penchée sur le rôle des parents dans les devoirs de leurs enfants. Il ne se limite pas, comme on pourrait le penser, à fournir un endroit calme pour faire les devoirs, qu’on ne fait surtout pas devant la télé !

Mike Horsley et Richard Walker, qui ont synthétisé ce que la recherche dit sur la question [3], soutiennent que celle-ci donne à penser que le fait de démontrer de l’intérêt pour les devoirs que font leurs enfants, le fait de souligner qu’ils sont importants, a des effets bénéfiques et contribue à ce que les enfants les valorisent à leur tour, eux et elles aussi. Par contre, si les parents s’y impliquent trop, sont contrôlants, ces comportements et attitudes peuvent avoir des effets négatifs sur la réussite scolaire. Tout, pour les parents, est donc affaire de prudence et de jugement : les mêmes qualités dont les enseignant(e)s devraient faire montre en donnant des devoirs.

 

 


[1] . John Hattie, Visible Learning. A Synthesis of Over 800 Meta-Analyses Relating to Achievement, Routledge, New York, 2009, p. 234-236.

[2] . Pour plus de précisions, voir Normand Baillargeon, “Le Saint-Graal de l’éducation ?”, À bâbord !, no 52, décembre 2013-janvier 2014. Voir sur Form@PEx.

[3] . Mike Horsley et Richard Walker, Reforming Homework : Practices, Learning and Policy, Palgrave MacMillan, Melbourne, 2013.

 

 


 

Siegfried Engelmann

Les devoirs à la maison sont cruels à l’école primaire

Titre original : “Homework is Cruel in the Primary Grades”

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Devoirs à la maison

 

Résumé :
Toujours dans le souci de l’amélioration des performances scolaires, et en particulier chez les élèves à risques, Siegfried Engelmann remet à l’ordre du jour la question des devoirs à la maison.
Il déplore que cette pratique se révèle très discriminatoire, par rapport aux populations en difficultés. Les défenseurs des devoirs ne tiennent pas compte des réalités sociales et font comme si tous les élèves vivaient dans un environnement chaleureux, aimant et soucieux d’aider aux acquisitions scolaires.
Les devoirs, selon lui, ne sont pas une activité d’apprentissage : ils servent rarement pour enseigner quelque chose. L’histoire des devoirs aux États-Unis se distingue de la nôtre ; en France, ils sont interdits depuis 1956. Aux États-Unis, dans les années 30, il y avait une forte opposition aux devoirs, et pourtant le niveau des élèves était nettement supérieur à celui d’aujourd’hui, même si les écoles de l’époque avaient leurs faiblesses. C’est dans les années 60, que les devoirs sont devenus à la mode. La méthode globale et les pratiques par découverte, alors très répandues, n’ayant pas les résultats escomptés, les enseignants, via les associations de parents d’élèves, ont décidé d’impliquer ces derniers dans les apprentissages. Les devoirs à la maison faisaient partie de la stratégie, ils relevaient désormais de la responsabilité des parents, ce qui permettait d’élargir les causes de l’échec. Siegfried Engelmann bien entendu est en total désaccord avec ce principe, lui qui clame depuis toujours que si l’élève n’a pas appris, c’est que le professeur n’a pas enseigné.
Par ailleurs, il trouve aussi que les devoirs présentent, sur le plan du contenu, des difficultés que la plupart des élèves ne parviennent pas à résoudre sans une aide extérieure. Ceux qui n’ont pas cette aide échouent.
La règle qui prévaut dans les classes américaines en matière de devoirs est celle des 10 minutes quotidiennes par classe. Cela donne 10 minutes en CP, 20 minutes en CE1 etc. Règle qui selon lui, est bien en-dessous de la réalité et qui, de toute façon,  allonge exagérément une journée de travail déjà bien chargée.
Enfin, il pose la question qui devrait précéder toute réflexion sur la question : Est-ce que les devoirs font une différence en termes de performances scolaires ? Les défenseurs disent oui, les détracteurs disent non, d’autres disent parfois. Pour dépasser les simples opinions, il mentionne l’étude réalisée sur le sujet par l’université Duke dont les résultats ont montré une corrélation positive, beaucoup plus importante dans le secondaire que dans le primaire. Voilà qui appuie la position du Direct Instruction sur la question.
Pour résumer
•    Aucun devoir écrit entre la GS et le CE2. Néanmoins, les petites classes amènent chez eux des histoires qu’ils ont lues en classe et qu’ils peuvent lire à leurs parents, ainsi que des exercices qu’ils ont résolus en classe. Cela permet d’établir une liaison entre la maison et la classe et d’impliquer les parents sans qu’ils n’aient la responsabilité des apprentissages.
•    Par la suite, aucun devoir que les élèves ne soient capables de réaliser tout seuls en 20-30 minutes.
En guise de conclusion, Siegfried Engelmann insiste bien sur le fait qu’aucun travail à la maison ne doit déboucher sur un échec. Ce serait ce qu’il appelle un devoir inhumain et cruel, totalement contre-productif sur le plan des apprentissages.

 

 


 

Compte rendu d’article

The Trouble With Homework

Le problème avec les devoirs à la maison

15.09.2011

 

 

Ceci est le titre d’un article récemment paru dans le New York Times, écrit par Annie Murphy Paul,  journaliste spécialisée en sciences sociales et biologie.

Le débat sur la question des devoirs à la maison est toujours d’actualité : depuis des lustres, on se demande s’il y en a trop ou pas assez. Selon Annie Murphy Paul, la question est mal posée. On ne doit pas s’interroger sur la quantité mais sur la qualité. Autrement dit, dans quelles mesures le travail qui est demandé à la maison contribue-t-il à l’avancement des apprentissages ? Elle s’appuie sur les travaux des neuroscientifiques, des cognitivistes et des psychologues de l’éducation qui « ont fait une longue série de découvertes remarquables sur la façon dont le cerveau humain apprend ». Elle explique qu’ils ont identifié une nouvelle discipline, connue sous le nom de Mind, Brain, Education, consacrée à « la compréhension et à l’amélioration de la façon dont les enfants intègrent, retiennent et mettent en application les connaissances. » Ce nouveau questionnement n’a pas encore été appliqué aux devoirs à la maison. Les méthodes proposées sont néanmoins simples et faciles à mettre en œuvre et les exercices à faire à la maison permettraient d’améliorer de manière patente les résultats des élèves.

Elle illustre son propos d’exemples. Les répétitions différées, comme leur nom l’indique, vont exposer l’élève au même contenu par petites sessions et sur une période de temps plus longue. « Au lieu de concentrer l’étude sur des périodes déterminées, comme c’est souvent le cas, les élèves sont réexposés à ces thèmes tout au long du trimestre. »

Une autre technique appelée pratique de récupération suggère que les exercices faits à la maison ont pour but non d’évaluer ce que savent les élèves, mais de renforcer leurs connaissances.

« Nous concevons souvent la mémoire comme un lieu de stockage et les devoirs à la maison comme une jauge mesurant la quantité d’informations que nous y avons déposées. Mais ce n’est pas ainsi que fonctionne le cerveau. Chaque fois que nous récupérons une information, nous la rendons plus forte et plus pérenne, c’est pourquoi les exercices ne sont pas là seulement pour mesurer, mais pour provoquer un changement. Des tâches telles que lire ce qui doit être appris, prendre des notes ou élaborer des plans, qui sont le quotidien des devoirs à la maison, n’ont pas cet effet. »

Annie Murphy Paul évoque une expérience montrant que les élèves utilisant la pratique de récupération se souviennent de 80% des mots de vocabulaire  étudiés ; alors que seulement 1/3 de ceux ayant utilisé des méthodes conventionnelles y parviennent. Enfin, elle décrit une technique appelée imbrication mélangeant différentes sortes de situations problèmes à pratiquer, au lieu de les regrouper par types. «  Quand les élèves ne peuvent pas dire à l’avance quelle sorte de stratégie est nécessaire pour répondre à une question, leurs cerveaux doivent travailler plus dur pour trouver la solution et le résultat est que les élèves apprennent plus en profondeur », observe-t-elle. Chacun de ces concepts, conclut-elle, est une opportunité inexploitée pour améliorer la réussite de l’élève.

L’angle d’attaque de la question des devoirs est très pertinent. Ce faisant, elle décrit exactement les pratiques reconnues comme efficaces en matière d’apprentissage : répétitions différées, révisions, pratique de récupération. Ces techniques sont efficaces en classe, les prolonger à la maison ne peut qu’être bénéfique. Les enseignants utilisant des méthodes explicites d’enseignement donnent déjà ce genre de tâche. Mais encore faut-il que le travail demandé soit effectivement réalisé. Cela ne peut se faire qu’à la condition que les parents suivent le travail de leurs enfants et soient persuadés du bien-fondé d’une telle pratique. Mais là, c’est un autre débat.

 

 

 


 

Françoise Appy

Que penser des devoirs à la maison ?

19.02.2011

 

Devoirs

 

En enseignement explicite, la transmission se fait en plusieurs temps : présentation, modelage, pratique guidée, pratique autonome, synthèse, révisions, qui conduisent au surapprentissage. La mémorisation ainsi que l’acquisition des automatismes libérateurs (réflexes orthographiques ou  connaissance des tables de multiplication par exemple), lesquels libéreront la mémoire de travail, ne peuvent se faire complètement pendant le temps scolaire ; une part de ce travail doit donc se faire à la maison.

En France, les devoirs sont à la fois critiqués, demandés et pratiqués même en dépit des circulaires qui les interdisent. Favre et Steffen (1988) font justement remarquer que cette pratique est à la fois « désirée et rejetée, nécessaire et inutile, efficace et inefficace, sécurisant et source de tension ». Les travaux ou enquêtes sur les devoirs sont rares, pas plus d’une douzaine en France. Une étude transculturelle (Bédard, 1994) montre que c'est dans les sociétés où la réussite scolaire est valorisée que les parents et le personnel enseignant considèrent les devoirs comme un outil d’apprentissage indispensable à la réussite des élèves. Là où les devoirs sont discutés le plus, c’est en primaire. On met en doute leur efficacité mais les défenseurs des devoirs argumentent en évoquant l’impact sur le long terme. Une circulaire de 1956 interdit de donner des devoirs écrits à la maison, interdiction réitérée en 64 et 71. Qui n’a pas empêché les devoirs d’être largement pratiqués.

Dans l’enseignement primaire, certains enseignants déplorent l’injustice que représentent les devoirs pour les familles culturellement défavorisées, qui ne peuvent aider leurs enfants. Cela, au passage, sous-entend que les devoirs en question ne pourraient être réalisés par les enfants de manière autonome. Et il est vrai aussi que certains enseignants donnent des tâches irréalisables sans l’aide d’une tierce personne.

Cela nous amène à évoquer une spécificité de l’enseignement explicite. En enseignement explicite, les devoirs à la maison servent simplement à renforcer une pratique afin de parvenir au surapprentissage. Ils sont un prolongement de la pratique autonome. Or, nous savons que la pratique autonome n’est possible que lorsque l’habileté ou le concept a été intégré, compris (voir le déroulement d’une leçon en PEx). Les devoirs à la maison en enseignement explicite sont facilement réalisables par les enfants qui ont suivi la classe car la pratique autonome intervient seulement une fois que l’enseignant s’est assuré de la compréhension. Considérant cela, toute famille, même culturellement défavorisée, peut veiller à ce que l’enfant fasse son travail à la maison, pour autant qu’elle prenne l’école au sérieux.

Le rôle des parents est loin d’être négligeable dans la scolarité primaire. Ils ont tout pouvoir de prolonger et fixer les apprentissages faits en classe. Comme ils ont aussi celui de les freiner. Les connaissances et habiletés enseignées en classe ne peuvent pas être acquise uniquement pendant le temps scolaire. La mémorisation des concepts et l’acquisition des automatismes doivent s’enraciner en dehors de l’école.

Certains parents sont très demandeurs et considèrent qu’un enseignant qui ne donne pas de devoirs écrits est un mauvais enseignant. Les études montrent aussi que ce sont les parents les moins instruits qui réclament les devoirs. Jean Paul Caille (1993) propose ainsi une typologie des différentes formes d’engagement parental :
Les absents : ils n’apportent pas d’aide aux devoirs et ne proposent pas de cours particuliers à leur enfant.
Les effacés : ils proposent une aide irrégulière aux enfants et sont absents des autres domaines liés à la scolarité.
Les appliqués, dont le soutien est relativement intense puisque la vérification des devoirs et les discussions sur la scolarité sont quotidiennes.
Les mobilisés accordent du temps pour l’aide au travail scolaire, ainsi que pour les relations avec les enseignants ; ils cherchent également à créer un environnement familial favorable à la scolarité.
Les attentifs interviennent rarement directement auprès de leur enfant pour les devoirs mais montrent un intérêt certain pour le suivi de leur scolarité.

Les devoirs sont aussi, pour bien des parents, une source de conflit, de fatigue, de saturation. Parfois ils ne savent pas s’y prendre ou ne comprennent pas le sens de ce qui est demandé. D’autres fois, ils jouent au professeur et refont les leçons à leur manière, qui peut se révéler contre-productive. Il est donc indispensable que l’enseignant soit explicite à ce sujet dès la réunion de début d’année et décrive avec précision ce qu’il attend des élèves et la façon dont les parents peuvent s’y prendre pour les aider. La plupart du temps, cela consistera à veiller à ce que l’enfant se mette au travail. Rien de plus.

 

 


 

Bernard Appy

La question des devoirs à la maison au Primaire

07.07.2008

 

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Il s’agit d’une ligne de fracture entre les partisans des pédagogies actives et ceux des pédagogies traditionnelles.

Dans une pratique traditionnelle, il est normal et même recommandé de donner des devoirs aux élèves, si possible en quantité. Ces devoirs portent sur des exercices de français ou de mathématiques qui prolongent ce qui a été vu dans la journée de classe. Les élèves des maîtres sérieux ont un “Cahier de Devoirs” bien tenu, dans lesquels ils indiquent la date et les références des exercices avant de les faire. Le lendemain, le maître corrige ces devoirs au tableau et sur les cahiers. Les élèves prennent la correction.

Pour les méthodes actives, les devoirs à la maison sont à bannir. Tout se fait en classe sous la conduite de l’enseignant. D’autant que ces méthodes étant contestables, il ne faut pas que les parents s’en mêlent. Il n’est qu’à voir avec quelle hargne certains enseignants interdisent toute méthode d’apprentissage de la lecture autre que celle à départ global qu’ils utilisent en classe, avec les loupés que l’on sait.

 

Que disent les textes ?

L'arrêté du 23 novembre 1956 aménage les horaires des écoles primaires et inscrit les devoirs pendant le temps scolaire. En application de cet arrêté, la circulaire du 23 novembre 1956 supprime sans équivoque les devoirs à la maison, retenant des arguments d'efficacité et de santé :

« Six heures de classe bien employées constituent un maximum au-delà duquel un supplément de travail soutenu ne peut qu'apporter une fatigue préjudiciable à la santé physique et à l'équilibre nerveux des enfants. Enfin, le travail écrit fait hors de la classe, hors de la présence du maître et dans des conditions matérielles et psychologiques souvent mauvaises, ne présente qu'un intérêt éducatif limité. En conséquence, aucun devoir écrit, soit obligatoire, soit facultatif, ne sera demandé aux élèves hors de la classe. Cette prescription a un caractère impératif et les inspecteurs départementaux de l'enseignement du premier degré sont invités à veiller à son application stricte. Libérés des devoirs du soir, les enfants de 7 à 11 ans pourront consacrer plus aisément le temps nécessaire à l'étude des leçons. »

Mais cette circulaire n'est pas appliquée. Plusieurs textes (en 1962, 1964, 1971, 1986, 1990) viennent rappeler l’interdiction. La circulaire du 17 décembre 1964 ajoute même une précision et porte l'interdiction aux « écrits à exécuter hors de la classe », puisque certains enseignants interprètent les textes en déclarant ne pas donner des devoirs mais des exercices écrits.

Les études dirigées sont installées par la circulaire du 6 septembre 1994 pendant le temps scolaire, pour apporter une aide personnalisée et méthodologique à chaque élève afin « de prévenir les risques d'échec et de réduire les difficultés provenant des inégalités des situations familiales ». L'interdiction des devoirs à la maison demeure : « Dans ces conditions, les élèves n'ont pas de devoirs écrits en dehors du temps scolaire. A la sortie de l'école, le travail donné par les maîtres aux élèves se limite à un travail oral ou à des leçons à apprendre ».

L'arrêté du 25 janvier 2002 promulgue les horaires et les nouveaux programmes. Les études dirigées n'apparaissent plus dans un horaire spécifique. Elles ne disparaissent pas pour autant, mais le choix de leur introduction est laissé aux maîtres « en fonction des besoins particuliers d'une classe tout au long de l'année ou pendant une période déterminée ».

Aujourd'hui, les devoirs à la maison restent interdits ; le travail oral et les leçons sont autorisés. Il est à noter qu'aucun texte ne demande aux enseignants de prescrire un travail aux élèves après la journée de classe.

Que faut-il faire ?

Les devoirs portant sur des exercices de français ou de mathématiques, comme on le faisait autrefois, sont à rejeter.

Plusieurs arguments de bon sens nous poussent à abandonner cette pratique de l’École traditionnelle :

Argument démocratique

« Laisser les élèves et leurs familles seuls face aux devoirs et leçons est source d'iniquité », constate le Haut conseil de l'évaluation de l'école. En 1985, un rapport de recherches de l’INRP montre comment le travail scolaire constitue un facteur de sélection sociale, les parents des classes défavorisées ne pouvant apporter l'aide qu’apportent les parents instruits. Les conditions matérielles sont aussi inégales (bureau ou table de la cuisine…), et les outils de documentation nécessaires sont parfois inexistants (dictionnaires, encyclopédies). Une autre recherche de l'INRP, en 1992 confirme que le renvoi du travail personnel à la maison pénalise massivement les élèves des catégories socioprofessionnelles défavorisées, alors que ces mêmes élèves obtiennent des résultats proches de ceux de leurs camarades quand le travail est fait en classe.

Argument sanitaire

Les élèves de l'école primaire sont jeunes, certains n'ont même que 6 ans au cours préparatoire. « Le développement normal physiologique et intellectuel d'un enfant de moins de onze ans s'accommode mal d'une journée de travail trop longue », disait la circulaire du 29 décembre 1956. Certains élèves ont une journée plus longue que celle d'un adulte salarié (garderie, cantine, étude). Il faut noter également que les bons élèves réalisent leurs devoirs plus rapidement que les élèves en difficulté.

Argument social

La réalisation des devoirs diminue le temps de loisirs, le temps de repos, pèse sur les vacances, ce qui est particulièrement dommageable quand les devoirs sont mal choisis ou inefficaces. Les devoirs sont assez souvent l'objet d'une préoccupation de la famille, alors qu'ils restent secondaires pour l'école. Quand un élève est absent, les parents viennent en général chercher les devoirs à l'école et s'inquiètent beaucoup moins des séquences manquées pendant la ou les journées de classe.

Argument moral

Le Haut conseil de l'évaluation de l'école remarque que le fait de donner des leçons et devoirs peut aussi être « guidé par des considérations d'image aux yeux des parents, voire des collègues ». Plutôt que d'expliquer les pratiques d'enseignement et la collaboration attendue avec les familles, certains enseignants prennent l'image commode du bon enseignant qui fait travailler les élèves, qui donne donc des devoirs ; dans des cas certes plus rares, on observe des enseignants en harmonie avec les représentations passéistes des parents, qui écrasent l'enfant de devoirs…

Arguments pédagogiques

Les devoirs donnés sont au mieux des applications des leçons faites en classe, mais ils peuvent être aussi disparates, mal centrés sur les notions importantes. Certains exercices sont mal expliqués, ont des consignes ambiguës. Le plus souvent, l’élève a besoin de la relance d'un adulte avisé. Outre les inégalités des aides, on constate des interventions trop appuyées (c'est l'adulte qui fait l'essentiel du devoir, lequel perd alors tout intérêt) ou des oppositions de méthode entre les parents et les enseignants (par exemple, les techniques opératoires). La correction des devoirs en classe pose aussi des problèmes. Elle peut prendre du temps en début de journée, ou être faite trop rapidement, ou pas du tout. Le suivi individuel apparaît rare et ne conduit pas l'élève à produire un travail appliqué.
Mais il n’est pas bon non plus que l’enfant, sitôt rentré de l’école, balance son cartable dans un coin pour se précipiter sur son vélo, sur sa console de jeu ou sur un programme de télévision.
Les élèves de l’Élémentaire qui font du travail à la maison réussissent nettement mieux que ceux qui n’en font pas. Cela, quels que soit la catégorie socioculturelle considérée. Ces tâches réalisées chez soi permettent de créer de bonnes habitudes de travail pour le collège.

Quel travail à la maison ?

Certains élèves disent à leurs parents qu’ils « n’ont rien à faire » pour le lendemain. D’autant plus volontiers qu’ils ne notent rien sur leur cahier de textes. Cela n’est pas normal et cela devrait inquiéter les parents.

En effet, il y a d’abord les leçons à apprendre, certaines à connaître par cœur d’autres à étudier suffisamment pour pouvoir répondre à des questions s’y rapportant.

Il est aussi essentiel que les enfants prennent l’habitude de lire à la maison, et pour cela il faut que les parents veillent à leur constituer une petite bibliothèque.

Tous les travaux de recherche documentaire pour préparer un exposé se font essentiellement à la maison. En ayant recours à l’Internet, à des encyclopédies, à des livres documentaires. Pour faire ce travail, les enfants de milieu socioculturel défavorisé peuvent utiliser les services des bibliothèques municipales, des centres sociaux ou des dispositifs d’aide aux devoirs.

L’illustration des leçons d’histoire, de géographie, de sciences peut se terminer à la maison. Tout comme le dessin qui accompagne une poésie.

Les parents qui le désirent peuvent aussi très bien reprendre un exercice de français ou de mathématiques qui n’a pas été réussi en classe par leur enfant. Ils peuvent s’appuyer sur la correction faite par le maître et recopiée par l’élève.

On n'attend pas que les parents jouent au “professeur du soir”, mais, outre qu'ils assurent l'équilibre affectif et corporel (sommeil, repas), qu'ils montrent à l'enfant que l'école est importante de manière implicite, simple, en faisant réciter la leçon, en écoutant la lecture, en dialoguant avec l’enfant. Ce qui est déterminant dans la contribution des parents, c'est bien le sens donné à l'école, la qualité des échanges avec l'enfant, plus que la quantité de travail.

Mais il ne faut pas exagérer dans la durée de toutes ces tâches. Lorsque l’enfant revient de l’école, il faut lui laisser le temps de “décompresser” (le temps du goûter par exemple). Après quoi, il fait des activités du type décrit ci-dessus pendant une heure au maximum. Et stop !

Sans oublier de coucher les enfants tôt (vers 20h30) la veille d’un jour d’école.

Conclusion

Encore une fois, la question des devoirs à la maison ne peut se réduire à des lubies constructivistes contraignantes ou à un retour simpliste à l’École d’autrefois. Car le constructivisme a fait long feu et les temps ont changé. Les activités d’apprentissage se font essentiellement à l’école, mais elles doivent être prolongées à la maison par des tâches appropriées. Les parents ne sont certes pas des enseignants et ils n’ont pas à jouer ce rôle : enseigner est un métier. Mais ils peuvent contribuer fortement à la réussite de leur enfant en accompagnant son travail scolaire et en montrant l’intérêt qu’ils portent à ce qu’il fait à l’école. Les parents ne peuvent pas apprendre une leçon pour leur enfant, mais ils peuvent l’aider en créant de bonnes conditions d’étude à la maison. Le handicap socioculturel pèse parfois lourdement, mais il n’est pas déterminant. Il m’a été donné de voir des familles immigrées où la mère, illettrée, installait après l’école tous ses enfants autour de la table familiale pour qu’ils “fassent leurs devoirs”. Quelques années plus tard, ces enfants avaient grandi dans la même cité défavorisée, ils avaient passé leur baccalauréat et s’étaient inscrits à l’Université.

À l’école élémentaire, les “devoirs” permettent d’associer les parents au travail scolaire. Cela contribue aussi à la réussite de nos élèves.