La qualité de l’éducation dans le discours des organisations internationales - Exigences du point de vue de la professionnalisation de l’enseignement Imprimer Envoyer
Le débat - Système éducatif
Écrit par Anthony Cerqua et Clermont Gauthier   
Vendredi, 10 Janvier 2014 18:00

Anthony Cerqua
Candidat au doctorat en psychopédagogie – Université Laval

Clermont Gauthier
Professeur au Département d’études sur l’enseignement et l’apprentissage – Université Laval

La qualité de l’éducation dans le discours des organisations internationales
Exigences du point de vue de la professionnalisation de l’enseignement

INITIO - nº 3, automne 2013 - “Réformes scolaires : perspectives internationales”

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Extrait :

L’efficacité d’une profession, c’est-à-dire la capacité qu’ont ses membres à atteindre les objectifs qu’ils se sont ou qu’on leur a fixés, repose donc en partie sur la formalisation des meilleures pratiques éprouvées en salle de classe et sur la formation des acteurs à ces dites pratiques. Ainsi, le processus de professionnalité amène à concevoir l’enseignement comme une activité professionnelle de haut niveau qui repose sur une base de savoirs spécialisés fortement articulée au contexte de la pratique professionnelle et nourrie grâce à l’apport des praticiens et des chercheurs qui collaborent avec eux. Le rôle important de la spécialisation des savoirs dans la quête ou le maintien du statut d’une profession a largement été mis de l’avant par les différentes approches de la sociologie des professions (Gauthier, Desbiens, Malo, Martineau et Simard, 1997). Dans ce sens, Bourdoncle (1993) fait de cette spécialisation l’un des deux attributs de base des professions – l’autre étant l’idéal de service – et affirme qu’« il ne peut y avoir de profession en labsence dune base de savoirs formels capables dorienter la pratique » (p. 105). Les propos du sociologue français ne sont pas sans rappeler ceux du Groupe Holmes (1986) au sujet de la constitution d’un noyau de savoirs professionnels pour enseigner (« knowledge base for teaching »). On trouvait déjà clairement exprimée dans les lignes de ce rapport l’idée selon laquelle l’enseignement ne pouvait se professionnaliser et, de là, améliorer les performances des élèves, s’il n’était pas basé sur des savoirs spécialisés comme le sont d’autres professions. Au milieu des années 1990, Gauthier et ses collaborateurs (1994) ont repris cette problématique en invoquant eux aussi la nécessité de constituer une base de connaissances en enseignement qui permettrait de former les enseignants québécois aux pratiques pédagogiques les plus efficaces pour instruire et éduquer leurs élèves. Depuis lors, l’élaboration d’une base de connaissances pour enseigner et son intégration dans les systèmes de formation à l’enseignement sont devenues des enjeux fondamentaux dans le développement professionnel des enseignants et, par extension, dans la quête de l’excellence éducative. Ces enjeux relevés par plusieurs chercheurs en éducation interpellent au premier chef les organisations internationales qui font de la professionnalisation de l’enseignement un objectif central de leur politique d’amélioration de la qualité de l’éducation.

Comme nous l’avons  vu  plus  haut,  l’objectif  du processus  de  professionnalité est de formaliser les bonnes pratiques d’enseignement en vue d’améliorer l’efficacité personnelle et collective des enseignants (Bourdoncle, 1991). Ces bonnes pratiques formalisées, ou ce que certains nomment une base de connaissances en enseignement, sont le produit de recherches menées dans les classes auprès d’enseignants. Cependant, il importe encore de mentionner que les recherches sur l’enseignement sont très diversifiées en genre et variables en qualité et qu’elles ne permettent pas toutes au même titre de fonder une base de connaissances en enseignement. Certaines d’entre elles peuvent être considérées comme des essais, c’est-à-dire des réflexions sans véritable base empirique. D’autres sont plutôt des études qualitatives décrivant dans le détail quelques cas ciblés. On retrouve aussi des études quantitatives portant sur des échantillons restreints ou importants. Par ailleurs, certaines études ou enquêtes recueillent la perception des acteurs, formateurs, enseignants, élèves alors que d’autres vérifient l’impact de dispositifs d’enseignement sur la performance des élèves à partir de protocoles expérimentaux ou quasi-expérimentaux. Il est également important de mentionner que certaines études dont l’objectif est de vérifier l’efficacité de dispositifs d’enseignement sur l’apprentissage des élèves peuvent être de meilleure qualité que d’autres : elles sont mieux construites sur le plan méthodologique et produisent par conséquent des données plus probantes, c’est-à-dire qu’elles présentent de manière plus crédible que d’autres des preuves d’efficacité de certains dispositifs d’enseignement.

Face à cette diversité, on doit s’interroger sur la nature des recherches qui, mieux que d’autres, permettent de se prononcer sur l’efficacité d’une stratégie d’enseignement. Les outils qui apportent des éléments de réponse à cette question ne manquent pas. Par exemple, la taxonomie d’Ellis (2001) permet de classer les recherches réalisées en éducation en trois niveaux selon leur validité scientifique. Le cadre d’analyse du U.S. Department of Education (2003) détermine pour sa part la force de la preuve présentée dans les recherches sur l’efficacité des approches pédagogiques. Il peut être fort utile de se référer à ce genre d’outil avant d’adopter une posture pédagogique particulière et d’en faire la promotion dans le cadre d’une réforme. Plus encore, la norme scientifique du savoir professionnel (Lang, 1999) ne contraint-elle pas ceux qui désirent améliorer la qualité de l’enseignement à se référer à des données probantes de recherche – c’est-à-dire à des données qui présentent une certaine forme de preuve scientifique – afin d’attester l’efficacité des approches pédagogiques qu’ils proposent ? Sur le plan politique, cette démarche coïncide avec l’actuel mouvement en faveur de l’« evidence-based policy » dont l’objectif est d’aider les décideurs à effectuer des choix informés à propos de politiques, de programmes et de projets, en mettant au cœur du développement et de l’implantation des réformes la meilleure recherche disponible (Davies, 2004).

Selon plusieurs chercheurs (Gauthier et Dembélé, 2004 ; Bissonnette, Richard et Gauthier, 2006), quatre décennies de recherches empiriques offrent aujourd’hui des résultats solides et convergents qui permettent de se prononcer avec de plus en plus de certitude sur l’efficacité des approches pédagogiques utilisées en salle de classe et, par conséquent, de nourrir le contenu de la base de connaissances pour enseigner. Devant ce constat, une question demeure : les décideurs internationaux tiennent-ils compte de ces résultats de recherche dans l’élaboration de leurs politiques éducatives ?

 

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