L'inefficacité de la formation des enseignants Imprimer
Le débat - Système éducatif
Écrit par Bernard Appy   
Samedi, 09 Août 2014 10:02

L'inefficacité de la formation des enseignants

 

Livre

[Le texte présenté ci-dessous est une libre adaptation des pages 109 à 114
du livre de Mireille Castonguay et Clermont Gauthier,
La formation à l’enseignement – Atout ou frein à la réussite scolaire ?

(Les Presses de l'Université Laval, 4e trimestre 2012, 143 p.)]

 

Il existe un abîme entre, d'une part, les objectifs éducatifs des parents, des enseignants et des élèves et, d'autre part, ceux des formateurs de maîtres.

En effet, les premiers veu­lent des classes dans lesquelles les élèves apprennent des connaissances et des habiletés, alors que les seconds considèrent les attentes du public comme dépassées et erronées. Les formateurs de maîtres veulent plutôt des classes dans lesquelles les priorités sont des attitudes positives envers l'apprentissage et des activités encourageant à “apprendre à apprendre”. Selon cette vision, apprendre à lire, à écrire et à compter est secondaire ; l'important demeure que l'enfant considère son expérience en classe satisfaisante. L'éducation d'un enfant est réussie si ce dernier est exposé aux bonnes attitudes par l'enseignant, et ce, même s'il réussit faiblement à des mesures de performance en lecture, en mathématiques, en histoire et en sciences. Étant formés par des défenseurs de cette approche, les futurs enseignants évoluant dans les institutions de formation à l'enseignement reçoivent souvent une formation faible et inefficace eu égard à la réussite scolaire des élèves.

Autrement dit, il existe deux cultures éducatives distinctes, chacune entretenant une croyance différente face au but fonda­mental de l'école. D'un côté, une vision de la culture pose que la chose la plus importante que nos écoles fassent est de s'assurer de la réussite scolaire des élèves, à savoir que les élèves apprennent les habiletés et les connaissances dont ils auront besoin pour réussir dans la vie. Dans cette optique, dans les écoles efficaces, les élèves obtiennent des résultats élevés à des examens standardisés. Cette vision est généralement soutenue par le public. Par ailleurs, une vision différente de la culture éducative met l'accent en priorité sur des objectifs autres que scolaires. Les défenseurs de cette approche croient qu'un ensemble de buts non liés aux matières sco­laires (entre autres la diversité, l'estime de soi, la pensée critique et la justice sociale) devraient prévaloir à titre d'objectifs d'apprentissage. La plupart des acteurs impliqués dans la formation des personnes se destinant à la profession enseignante sont en accord avec cette vision. Ils ne considèrent pas la réussite scolaire comme le plus important objectif de la scolarisation.

Or, ces deux façons de voir ont une influence directe et sensible sur les enseignants et leur formation. Elles impliquent, en fait, deux approches pédagogiques distinctes. D'une part, ceux qui priorisent les apprentissages scolaires visent à développer chez les élèves des habiletés en lecture, en mathématiques, en histoire et en sciences. Ils croient qu'il existe un certain bagage de connaissances et d'habiletés que tous les élèves doivent apprendre au cours de leur scolarité. En ce sens, un enseignant obtient du succès si ses élèves acquièrent ce bagage. Par conséquent, un institut de formation à l'enseignement sera efficace dans la mesure où il préparera des futurs enseignants qui seront capables de développer chez leurs élèves les connais­sances visées. L'enseignant se situe donc au centre du processus éducatif. Il connaît et aime sa matière, il reconnaît que ses élèves ont besoin de répéti­tions et de pratiques pour maîtriser les contenus. Il vise de hauts standards et met l'accent d'abord et avant tout sur le progrès scolaire de ses élèves.

D'autre part, ceux qui favorisent des apprentissages autres que sco­laires font la promotion d'une approche centrée sur l'élève souvent qualifiée de progressiste ou de constructiviste. Plutôt que d'enseigner un contenu scolaire traditionnel, cette approche vise à répondre aux besoins de l'élève. Par exemple, l'enseignement peut viser à s'assurer que chaque élève parvienne à s'entendre avec ses pairs, qu'il soit sensible aux différentes cultures, qu'il démontre des habiletés de pensée critique et qu'il s'engage dans la promotion de la justice sociale. Cette approche progressiste est également constructiviste car ses défenseurs croient que les élèves doivent nécessairement construire leur propre connaissance. Cette construction se produirait naturellement si l'enseignant parvenait à capter l'intérêt des élèves à l'aide de tâches riches et variées. Lorsqu'un enseignant fait usage de ce type d'enseignement, il met peu l'accent sur le contenu, les habiletés de base et l'amélioration des résultats des élèves. L'enseignement en grand groupe, la répétition et la pratique, les révisions, les objectifs curriculaires ainsi que les séquences d'enseignement ne constituent pas non plus des éléments sur lesquels il doit insister. En effet, ces éléments sont considérés comme “tra­ditionnels”, passifs, rigides et routiniers. Certains théoriciens soulignent même qu'il est tout simple­ment carrément mauvais pour un enseignant de se soucier de la maîtrise par ses élèves de contenus liés à une matière scolaire.

Que dit la recherche à propos de ces deux cultures, de ces deux appro­ches de l'enseignement ? Les données empiriques indiquent sans équivoque que les approches centrées sur l'enseignant sont nettement plus efficaces pour aider les élèves à atteindre des objectifs scolaires comparativement à celles centrées sur l'élève. Par conséquent, bien que très populaires dans les instituts de formation à l'enseignement, ces approches centrées sur l'enfant menacent les élèves si le but visé par la scolarisation est la réussite scolaire. Le nœud du problème se situe exactement à ce niveau, à savoir l'objectif visé par la scolarisation.

De manière générale, la plupart des citoyens considèrent la promotion de la réussite scolaire comme le plus important rôle des enseignants. À l'opposé, les instituts de formation à l'enseignement entretiennent une forte orientation en faveur des approches de type constructiviste qui vise en priorité des apprentissages dans des domaines autres qu'académiques, par exemple l'estime de soi ou l'ouverture à la diversité culturelle. L'adoption de ces approches par les instituts de formation à l'enseignement fait que ces derniers sont embourbés dans des rhétoriques éducatives inefficaces qui ne servent d'autre but que celui de hausser l'estime de soi des formateurs.

En effet, les formateurs de maîtres n'aiment pas se considérer comme de simples “techniciens” qui présentent aux futurs ensei­gnants les habiletés concrètes que ces derniers doivent posséder au terme de leur formation. Les formateurs préfèrent discuter des philosophies éducatives, parfois ésotériques, et de leur rôle supposé dans l'ascension sociale plutôt que de se soucier des meilleurs moyens pour enseigner aux futurs enseignants les connaissances et les habiletés nécessaires pour favoriser les apprentissages scolaires de leurs élèves. Par conséquent, il est permis de douter sérieusement que les institutions de formation font le meilleur travail possible pour former les futurs enseignants.

Les instituts de formation à l'enseignement devraient donc mettre l'importance là où elle devrait être : préparer des enseignants qui sont capables d'aider leurs élèves à apprendre. En ce sens, un nouvel examen menant à la certifi­cation devrait être élaboré. Cet outil permettrait d'évaluer chez chaque candidat la maîtrise des stratégies pédagogiques dont les recherches ont démontré qu'elles assuraient une meilleure réussite des élèves. Si les examens de certification étaient construits afin de faire la promotion des approches pédagogiques qui favorisent les gains d'apprentissage des élèves, alors les instituts de formation à l'enseignement auraient à faire face aux consé­quences lorsque leurs diplômés échoueraient à ces examens. Les formateurs de maîtres devraient alors ajuster leur enseignement en conséquence.

Si la réussite scolaire des élèves constituait véritablement le but principal des écoles publiques, alors le changement devrait commencer avec le recrutement des professeurs dans les instituts de formation à l'enseigne­ment. Ces derniers devraient embaucher des formateurs de maîtres qui veulent améliorer la réussite scolaire des élèves qui seront placés sous la tutelle des enseignants qu'ils auront contribué à former. Les formateurs ayant une préférence pour les théories de type constructiviste et qui dénigrent les approches structurées ne devraient jamais être embauchés dans les institutions de formation à l'enseignement.

Pour conclure, la question de l'efficacité des instituts de formation à l'enseignement dépend des objectifs poursuivis par le système d'éducation public. Si l'on croit que les apprentissages liés à une matière doivent prévaloir et que les écoles doivent maximiser la réussite scolaire des élèves en lecture, en écriture, en mathématiques, en histoire et en sciences, alors force est de constater que les institutions de formation à l'enseignement ne font pas un bon travail. Ces dernières ne préparent pas les futurs enseignants à aider leurs élèves à apprendre.

En formation à l'enseignement, les étudiants sont submergés d'infor­mations sur les théories centrées sur l'élève, alors que les approches d'enseignement de type explicite et structuré font l'objet de peu voire d'aucune formation. Cette immersion dans les théories de type constructiviste amène les futurs enseignants à adopter ces théories inefficaces d'enseignement. Ils finissent aussi par croire que l'objectif principal poursuivi par l'école doit être de résoudre les problèmes sociaux. Or, la plupart des citoyens considèrent plutôt que le but visé par le système éducatif devrait être la réussite scolaire des élèves.

Des mesures doivent donc être entreprises pour que les instituts de formation à l'enseignement harmonisent la formation offerte aux futurs enseignants avec le point de vue de la population qu’elle est supposée desservir. Pour ce faire, ces instituts devront adopter la culture de la réussite scolaire au lieu de l’actuelle culture constructiviste sévissant actuellement dans ces milieux.