Fausses représentations : qui omet quoi ? - Une réplique à Serge Pouts-Lajus Imprimer Envoyer
Le débat - Antagonismes
Écrit par Mario Richard et Steve Bissonnette   
Mercredi, 20 Avril 2005 00:00

Source : Le Café pédagogique

Mario Richard et Steve Bissonnette

Fausses représentations : qui omet quoi ? - Une réplique à Serge Pouts-Lajus

04.2005

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Le Café pédagogique

 

Dans le numéro 61 du Café pédagogique, Serge Pouts-Lajus signe un texte à l'intérieur duquel il critique la revue de littérature que nous avons réalisée à titre de co-chercheurs avec notre collègue de l'Université Laval (Québec), Clermont Gauthier, à partir d'une subvention décernée par le Fonds de recherche québécois sur la science et la culture. Avec notre autorisation, cette étude a été rediffusée en janvier 2005 par la Fondation pour l'innovation politique sous le titre Quelles sont les pédagogies efficaces ? Un état de la recherche. Cette revue de littérature, portant sur le thème des pédagogies efficaces, visait à établir l'état de la recherche sur l'efficacité des approches pédagogiques dites “centrées sur l'enseignement” lorsque comparées à celles appelées “centrées sur l'apprenant”. N'appréciant vraisemblablement pas les résultats présentés par notre rapport de recherche, Serge Pouts-Lajus s'évertue à le discréditer à partir d'une analyse pseudo scientifique reposant sur un argumentaire dont le fond apparaît tout aussi fragile que la forme en est tendancieuse.

Sur la forme d'abord. Au début de son article, Serge Pouts-Lajus déplore que le débat opposant les tenants des méthodes pédagogiques “centrées sur l'apprenant” aux tenants de celles qui sont “centrées sur l'enseignement” ait donné lieu à des arguments dont « la qualité de l'écoute et de la modération sont au plus bas ». Or, dans sa grande magnanimité, non seulement qualifie-t-il, dans le titre de son texte, notre étude de « Fausses preuves », mais il nous accuse également d'avoir cherché à tromper les lecteurs à deux reprises en plus d'avoir menti (« deux tromperies et une contre-vérité »), et ce, tout en utilisant la manipulation ! Une telle enflure verbale, frisant la diffamation, constitue, nous semble-t-il, une bien curieuse manière d'élever la qualité du débat.

Voyons maintenant le fond. S'improvisant champion de la scientificité, Serge Pouts-Lajus tente de nous donner une leçon de méthodologie de la recherche. Il s'attaque à la présentation que nous faisons dans notre revue de littérature du Projet Follow Through, qui constitue la plus vaste expérimentation à grande échelle jamais effectuée en Occident comparant l'efficacité de différentes méthodes pédagogiques. Il allègue ainsi que nous avons volontairement omis de référer à la contre-expertise effectuée par House, à la suite de la publication du Projet Follow Trough, parce que son rapport venait en invalider les résultats. Il faut souligner ici que les résultats du Projet Follow Through démontrent la supériorité des approches centrées sur l'enseignement sur celles qui sont centrées sur l'apprenant lorsque appliquées avec des élèves de niveau primaire provenant de milieux défavorisés, ce qui a probablement eu l'heur de déplaire à monsieur Pouts-Lajus. Ce qu'il a toutefois oublié de mentionner (une omission ?), c'est que malgré le fait que la contre-expertise de House ait été financée par les promoteurs d'une des approches centrées sur l'apprenant qui avait été identifiée comme inefficace dans Follow Through, les chercheurs qui ont ré-analysé les résultats ont été obligés de concéder le premier rang au Direct Instruction, une approche centrée sur l'enseignement. N'en déplaise à monsieur Pouts-Lajus, leur étude est donc venue confirmer, par le fait même, la validité des résultats initiaux de Follow Through, ce que nous précisons dans notre texte.

Or, non seulement Serge Pouts-Lajus prétend-il dans son article que les chercheurs dirigés par House constituait une équipe de recherche neutre et indépendante, mais il allègue, de plus, que cette étude vient invalider les résultats de Follow Through, ce sur quoi il s'appuie pour nous accuser de manipulation. Aurions-nous là une contre-vérité ? Ou serait-ce plutôt parce que monsieur Pouts-Lajun aurait négligé d'aller consulter directement la page 150 du rapport de House, Glass, MacLean et Walker, publié en 1978 dans Harvard Educational Review, parce qu'il s'en serait tenu aux « sources disponibles sur le Web » ? Venant d'un maître de la rigueur, on se serait attendu à mieux.

D'ailleurs, toujours selon ses recherches sur Internet, monsieur Pouts-Lajus affirme, à la fin de son article, que la publication du rapport House en 1978 aurait signé l'arrêt de mort du Projet Follow Through en tant que référence scientifique, sauf pour les tenants de l'enseignement direct qui « ne brillent pas par leur objectivité ni par leur mesure ». Il ajoute : « Pour les autres acteurs, l'affaire est close depuis longtemps. » Comment expliquer alors que vingt ans plus tard, en 1998, l'American Federation of Teachers (AFT), dans un rapport intitulé Building from the Best: Learning from What Works, fasse référence aux résultats du Projet Follow Through pour recommander le Direct Instruction comme étant l'un des six programmes les plus prometteurs pour améliorer le rendement scolaire des élèves (p. 17). Quoique l'AFT compte plus d'un million d'enseignants répartis sur l'ensemble du territoire américain, probablement monsieur Pouts-Lajun rétorquerait-il qu'il s'agit encore là d'acteurs partiaux et, somme toute, plutôt négligeables.

Or, la position adoptée par Serge Pouts-Lajus face aux résultats du Projet Follow Through représente une réaction typique d'incompréhension de la méthodologie de la recherche. Tel que trois des plus grands chercheurs en sciences de la cognition du XXe siècle, John Anderson, Lyne Reder et Herbert Simon (1998) de l'Université Carnegie Mellon le précisent à propos du Projet Follow Through : « Une part importante des résistances que les constructivistes radicaux, ainsi que de nombreux intervenants du milieu de l'éducation en général, éprouvent face au domaine de la mesure et évaluation provient du fait qu'aucun instrument de mesure n'est parfait. Or, cette tendance à focaliser sur les limites des instruments de mesure en amènent plusieurs à rejeter les données provenant des recherches empiriques. Le jugement négatif qu'on a porté sur le Projet Follow Through, qui a démontré que les méthodes d'enseignement direct étaient plus efficaces que les pédagogies ouvertes avec des élèves du niveau primaire issus de milieux défavorisés, en constitue un exemple classique. Cette étude a été immédiatement accablée de critiques de toutes sortes, ce qui a eu pour effet de détourner complètement l'attention des informations importantes qu'elle contenait. Les scientifiques savent qu'ils doivent tenir compte des limites inhérentes à leurs instruments de mesure, mais qu'ils ne doivent pas pour autant ignorer ce que leur instruments révèlent » (p.253) [1].

De plus, faut-il rappeler à Serge Pouts-Lajus qu'un des principes fondamentaux en méthodologie de recherche est la convergence des conclusions des études qui permet de donner une robustesse aux résultats. Cependant, la lecture de son article laisse croire que notre revue de littérature se limite à la présentation d'une seule étude, le Projet Follow Through (omission ou contre-vérité ?). Comme si c'était l'unique recherche que nous avons utilisée pour recommander l'utilisation des approches centrées sur l'enseignement, et particulièrement l'enseignement direct et explicite, en tant qu'interventions pédagogiques les plus efficaces auprès des élèves provenant de milieux défavorisés. S'il avait fait preuve de moins d'étroitesse d'esprit en lisant notre rapport de recherche plutôt que de tenter de nous faire un procès d'intention, monsieur Pouts-Lajus aurait pu constater que les résultats du projet Follow Through sont confirmés, entre autres, par :
1.   La synthèse de recherche effectuée par Jeanne Chall ;
2.   L'étude pan-canadienne sur l'enseignement des mathématiques au secondaire ;
3.   Les méta-analyses sur l'apprentissage de l'écriture et des mathématiques au primaire ;
4.   La méta-analyse du National Reading Panel sur l'apprentissage de la lecture qui a étudié plus de 100 000 recherches expérimentales publiées au cours des 30 dernières années ;
5.   La méta-analyse de Swanson et Hoskyn qui a étudié 180 recherches publiées entre 1963 et 1997 sur les interventions pédagogiques efficaces auprès des élèves en difficulté ;
6.   La méta-analyse de Borman sur l'efficacité des modèles pédagogiques implantés dans les écoles américaines qui a étudié 232 recherches impliquant 145 000 élèves ;
7.   L'étude longitudinale de Hanson et Farrell sur l'apprentissage de la lecture auprès de 4000 élèves à risque ;
8.   Les synthèses de recherches de Brophy et Good ainsi que celles de Rosenshine et Stevens ;
9.   Les études sur la réforme de l'éducation entreprise au Wisconsin.

Inversement, les échecs retentissants qu'ont connu les réformes de la Californie au primaire en lecture et au secondaire en mathématiques dans les années 90, en implantant massivement des approches centrées sur l'apprenant, attestent de l'inefficacité de telles méthodes pédagogiques.

Dans une de ses envolées lyriques, Serge Pouts-Lajus clame qu'il nous retire sa confiance. Compte tenu de ce qu'elle vaut, nous le laissons libre d'en faire ce qu'il veut. Pour notre part, nous préférons plutôt avoir la confiance de chercheurs reconnus dans la communauté scientifique, comme les membres du comité de rédaction de la Revue française de pédagogie, qui ont jugé que notre revue de littérature avait suffisamment de valeur pour la publier dans leur prochain numéro sous la forme d'une note de synthèse.

Nous voulions laisser savoir à Serge Pouts-Lajus qu'on ne peut tenter de salir impunément la réputation professionnelle de chercheurs rigoureux à partir d'un tissu de propos fallacieux s'appuyant sur une démarche méthodologique qui relève d'un scientifique du dimanche.

C'est fait.

 

Références

- AMERICAN FEDERATION OF TEACHERS (1998). Building from the Best: Learning from What Works. Washington, DC 20001-2079.

- ANDERSON, J.R., REDER, L.M., SIMON, H.A. (1998). “Radical Constructivism and Cognitive Psychology”. In D. Ravitch (Ed.) Brookings Papers on Education Policy 1998. Washington, DC: Brookings Institute Press.

- HOUSE, E. R., GLASS, G.V., MCLEAN, L.F., WALKER, D.F. (1978) “No Simple Answer: Critique of the “Follow Through” Evaluation”, Harvard Educational Review, vol. 28, no 2, p. 128-160.

 


[1] . Traduction libre des auteurs.

 
 
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