Au-delà des théories pédagogiques à la mode : les recherches scientifiques en éducation Imprimer Envoyer
Le débat - Antagonismes
Écrit par Mario Richard, Clermont Gauthier, Steve Bissonnette   
Samedi, 01 Novembre 2008 00:00

Mario Richard, Clermont Gauthier, Steve Bissonnette

Au-delà des théories pédagogiques à la mode : les recherches scientifiques en éducation

in Enjeux pédagogiques - Bulletin de la Haute École pédagogique de Berne, du Jura et de Neuchâtel (novembre 2008, n° 10) - Dossier : “Les pédagogies socioconstructivistes, alternatives, traditionnelles : où en est-on aujourd'hui ?”, 11.2008

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Les études sur lefficacité de lenseignement ont permis de montrer quun enseignement structuré engendre des effets positifs sur lapprentissage. Les modèles les plus efficaces appartiennent à la famille « instructionniste », centrés sur lenseignement, par opposition aux modèles moins structurés, centrés sur l’élève et préconisant lentrée par la complexité.


Introduction

 

Dans les pays occidentaux, le milieu scolaire souffre actuellement d’un manque de soutien et de reconnaissance de la part de la population, qui a tendance à tenir l’école responsable pour de nombreux maux sociétaux. Dans la perspective de combler les lacunes des systèmes éducatifs, les enseignants font actuellement les frais de différentes innovations pédagogiques proposées dans le cadre des réformes en éducation souvent présentées comme étant fondées sur la recher­che, comme si elles étaient le résultat plus achevé de l’évolution des connaissances. Or, ces innova­tions pédagogiques sont rarement le produit de recherches empiriques ; elles proviennent plutôt de croyances, d’opinions ou de théories à la mode. Le National Research Council américain souligne qu’en éducation, comparativement au domaine médical, par exemple, on ne s’appuie pas sur une solide tradition de recherche empi­rique pour effectuer ses choix et prendre des décisions [1].

Par conséquent, des innovations non testées sont implantées massivement puis disparaissent tout aussi rapidement au moment où l’on cons­tate que les effets de leurs prétendues vertus ne se sont pas matérialisés. Elles sont remplacées ensuite par de nouvelles pratiques préconisant une idéologie diamétralement opposée sans que l’efficacité présumée de ces dernières soit davan­tage vérifiée. Pour endiguer ce mouvement de balancier, il semble opportun de recourir aux recherches empiriques afin de valider scientifi­quement les innovations pédagogiques propo­sées par les réformateurs, et ce, avant que celles-ci ne soient diffusées et recommandées à large échelle aux enseignants. Plus particulièrement, la recherche sur les effets des pratiques s’avère l’outil par excellence pour déterminer, parmi l’ensemble des stratégies pédagogiques, celles qui sont associées aux meilleurs effets.

 

Les recherches en efficacité de lenseignement

 

Nous avons abouti à un tel constat au terme d’une analyse approfondie des résultats des recherches empiriques les plus significatives menées ces trois dernières décennies sur l’efficacité com­parée de diverses approches pédagogiques [2]. Les études analysées montrent que les approches pédagogiques ne se valent pas toutes et que cer­taines favorisent franchement mieux les apprentissages scolaires des élèves. Ce sont les procé­dés pédagogiques faisant appel à une démarche d’enseignement explicite et systématique – qu’il ne faut surtout pas confondre avec l’enseigne­ment magistral — qui donnent les meilleurs résultats. Plus récemment, trois études majeures réalisées aux États-Unis par trois comités d’ex­perts mandatés par le Congrès américain pour analyser l’ensemble des recherches scientifiques disponibles sur l’apprentissage de la lecture, de l’alphabétisation dans une langue seconde et des mathématiques, en sont arrivées à une même conclusion. En effet, tant le National Reading Panel [3], le National Literacy Panel [4] que le National Mathematics Panel [5] s’entendent pour recommander aux enseignants le recours à une démarche systématique d’enseignement explicite afin de favoriser, respectivement, l’apprentissage de la lecture, d’une langue seconde et des mathé­matiques, et ce, pour l’ensemble des élèves.

Il est important de noter que les recherches sur l’efficacité de l’enseignement ou sur l’enseigne­ment explicite, qui est le type de pédagogie prati­qué par les enseignants efficaces, appartiennent à la tradition anglo-saxonne fort différente de la nôtre, plus spéculative et théorique. Ainsi, pour étayer leurs conclusions, les experts membres des trois comités précités ont effectué la synthèse d’un nombre impressionnant d’études corrélationnelles, expérimentales ou quasi expérimenta­les conduites dans les classes. Il est tout de même étrange de constater, quand on mesure rigoureu­sement les effets des approches pédagogiques, que les moins populaires actuellement dans le milieu des sciences de l’éducation (comme l’en­seignement explicite) sont celles qui donnent les meilleurs effets et que, paradoxalement, les plus à la mode sont celles qui, soit ont fait l’objet de moins de recherches expérimentales sérieuses, ou soit donnent les pires effets quand on prend la peine de les mesurer.

Les études sur l’efficacité de l’enseignement ont permis de montrer qu’un enseignement structuré engendre des effets positifs sur l’apprentissage. Les modèles les plus efficaces appartiennent à la famille “instructionniste”, centrés sur l’en­seignement, par opposition aux modèles moins structurés, centrés sur l’élève et préconisant l’en­trée par la complexité. L’enseignement explicite fait partie de la famille des modèles “instructionnistes”. L’enseignement efficace est associé à un enseignement explicite et systématique. Une démarche d’enseignement explicite et systéma­tique consistant à présenter la matière de façon fractionnée, marquée d’un temps pour vérifier la compréhension, et assurant une participa­tion active et fructueuse de tous les élèves, est une méthode d’enseignement particulièrement appropriée pour favoriser l’apprentissage de la lecture, des mathématiques, de la grammaire, de la langue maternelle, des sciences, de l’histoire et des langues étrangères. Un tel type d’enseigne­ment est également profitable à tous les élèves quand il s’agit d’une matière ordonnée, d’une matière nouvelle ou complexe, et ce, même avec des élèves plus performants.

 

Conclusion

 

Dans le prolongement de ce qui précède, quand on pense à nos réformes en cours, devrait-on accepter qu’en réponse à une pression vers l’in­novation, les enseignants soient orientés vers des approches pédagogiques qui ne sont que le reflet des idéologies dominantes ? Les pratiques éducatives n’ont pas à prendre le parti de la gauche ou de la droite, à être pro démocrate ou républicaine, libérale ou conservatrice. Ce sont là des options politiques qui concernent les finalités que l’école doit poursuivre et au sujet desquelles les citoyens font leurs choix. L’enseignant en tant que professionnel devrait choisir les approches qui sont associées aux meilleurs effets selon les résultats souhaités. Sur ce plan, elles sont loin d’être équivalentes.

En ce sens, une profession ne devrait-elle pas fournir à ses membres des indications sur l’ef­ficacité du matériel ou des méthodes qui sont proposées aux enseignants à partir d’une analyse rigoureuse et objective des études qui les ont examinés ? Pour notre part, nous considérons que, si on vise à ce que l’école puisse procurer le succès au plus grand nombre d’élèves possible et que les enseignants veulent accéder à un réel statut de professionnel, avec la reconnaissance sociétale qui lui est associée, la réponse coule de source.

 

Mario Richard, chercheur-associé à la Chaire de recherche du Canada en Formation l’enseigne­ment de l’Université Laval, à Québec Clermont Gauthier, titulaire de la Chaire de recherche du Canada en Formation à l’enseigne­ment de l’Université Laval, à Québec Steve Bissonnette, professeur à l’Université du Québec en Outaouais, à Gatineau.

 


[1] . National Research Council (2002). Scientific Research in Education. Committee on Scientific Principles for Education Research. Richard J. Shavelson et Lisa Towne, Editors. National Research Council: Washington D.C.

[2] . Une analyse de ces recherches est parue en 2005 aux Presses de l’Université Laval sous le titre Échec scolaire et réformes éducatives. Quand les solutions deviennent la source du problème par Steve Bissonnette, Mario Richard et Clermont Gauthier.

[3] . National Reading Panel Report (2000). Document téléaccessible à l’URL : www.nationalreadingpanel.org

[4] . August, D. & Shanahan, T., Eds. (2006). Developing Literacy in Second-Language Learners. Report of the National Literacy Panel on Language-Minority Children and Youth. New Jersey: Laurence Erlbaum Associates. Executive summary. Document accessible à l’URL : http://www.cal.org/projects/archive/nlpre-ports/Executive_Summary.pdf

[5] . National Mathematics Advisory Panel (2008). Foundations for success: The final report of the National Mathematics Advisory Panel. Document téléaccessible à l’URL : http://www.ed.gov/about/bdscomm/list/mathpanel/report/final-report.pdf

 
 
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