Pour une conception instructionniste de l’apprentissage coopératif Imprimer Envoyer
Pédagogie Explicite - Articles
Écrit par Bernard Appy   
Samedi, 30 Décembre 2017 15:04

Robert E. Slavin

Apprentissage coopératif : pourquoi ça marche ?

In H. Dumont, D. Istance, & F. Benavides (Eds.), Comment apprend-on ? La recherche au service de la pratique (pp. 171-189). Paris, France : Éditions OCDE (2010)

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Contrairement à ce qui est souvent affirmé, l’apprentissage coopératif n’est pas une pratique uniquement liée aux approches inspirées du constructivisme pédagogique. Et heureusement, car il arrive trop souvent que dans les classes dites “coopératives” on constate un véritable abandon pédagogique. Les élèves mis en groupe doivent se débrouiller seuls devant des tâches complexes, sans l’aide effective de l’enseignant qui se considère comme un “animateur” et non comme un transmetteur de connaissances et d’habiletés. L’objectif prioritaire de ces classes est bien de faire quelque chose en groupe, dans la logique des “pédagogies actives”, et non d’apprendre quelque chose ensemble. La participation des élèves les plus faibles est alors très vite ressentie comme une gêne et non comme une aide. D’où ce côté élitiste que revêtent volontiers dans les faits les pratiques constructivistes qui se proclament pourtant “progressistes” dans les idées.

Robert E. Slavin nous propose une étude qui montre ce que peut être un apprentissage coopératif selon une conception instructionniste, c’est-à-dire une philosophie éducative qui se préoccupe en priorité d’être efficace dans la transmission des connaissances et des habiletés afin que les apprentissages des élèves soient réussis.

Je vous propose deux extraits, dont j’ai mis en gras certains passages qui me semblent importants :

« Les techniques d’apprentissage en équipe (Student Team Learning – STL) ont été développées et étudiées à l’Université Johns Hopkins aux États-Unis. Plus de la moitié des études expérimentales consacrées aux méthodes pratiques d’apprentissage coopératif portent sur des méthodes STL. Toutes ces méthodes ont en commun que les élèves travaillent ensemble et sont responsables des apprentissages de leurs coéquipiers comme des leurs. Elles insistent sur la poursuite de buts collectifs et une définition collective de la réussite, objectif qui ne peut être atteint que si tous les membres de l’équipe acquièrent les compétences visées dans une matière donnée. En clair, l’important n’est pas de faire quelque chose ensemble mais d’apprendre quelque chose ensemble.

Toutes les méthodes STL reposent sur trois grands concepts : les récompenses d’équipe, la responsabilité individuelle et une égale possibilité de succès pour tous. Dans les classes qui mettent en place une telle stratégie, les équipes se voient délivrer des attestations ou autres récompenses d’équipe si leurs résultats se situent au-dessus d’un critère défini. « Responsabilité individuelle » signifie que la réussite de l’équipe dépend des acquisitions individuelles de tous les membres. L’activité de l’équipe consiste donc essentiellement à s’expliquer mutuellement les concepts et à s’assurer que chacun est prêt à subir un petit test ou toute autre forme d’évaluation sans l’aide de ses coéquipiers. Le principe d’égale possibilité de succès pour tous exige que chacun fasse avancer son équipe en améliorant ses résultats précédents, de sorte que tous les élèves, quel que soit leur niveau (bon, moyen ou faible) sont également mobilisés pour faire de leur mieux et les contributions de tous les membres de l’équipe sont importantes.

Les conclusions de ces études expérimentales montrent que les récompenses par équipes et la responsabilité individuelle sont des éléments essentiels pour favoriser l’acquisition des compétences de base. Mais il ne suffit pas de demander aux élèves de coopérer pour que ces derniers le fassent, ils doivent encore avoir une bonne raison de le faire. En outre, la motivation des élèves est plus forte lorsqu’on récompense leurs progrès, plutôt que leurs performances comparatives. Lorsque les progrès sont récompensés, réussir n’est ni trop difficile, ni trop facile. »

 

« De très nombreuses études comparatives ont analysé les avantages des méthodes d’apprentissage coopératif par rapport aux méthodes traditionnelles actuellement en place. Elles constatent que l’apprentissage coopératif permet pratiquement toujours d’améliorer les résultats liés à la sphère affective. Les élèves adorent travailler en groupes, ils ont le sentiment de mieux réussir et aiment bien les matières enseignées suivant cette démarche. Ils se font plus d’amis parmi les élèves d’autres origines ethniques et sont plus enclins à accepter leurs différences. Toutefois, en termes d’acquis, les résultats sont largement tributaires des modalités de mise en œuvre des processus pédagogiques. Les deux composantes clés d’un apprentissage efficace sont la conscience de buts collectifs et d’une responsabilité individuelle.  C’est-à-dire que les élèves doivent travailler ensemble pour améliorer leurs résultats scolaires ou recevoir une récompense ou une reconnaissance, et la réussite du groupe dépend des apprentissages individuels de chacun de ses membres.

Pourquoi les buts collectifs et la responsabilité individuelle sont-ils si importants ?  Analysons les diverses méthodes pour mieux comprendre. Certaines approches invitent les élèves à coopérer pour exécuter les tâches inscrites sur une fiche ou résoudre un problème. Pour quelle raison les meilleurs élèves prendraient-ils le temps d’expliquer ce qui se passe à leurs coéquipiers en difficulté ou de solliciter leur avis ? Lorsque la tâche du groupe est de faire et non d’apprendre quelque chose, la participation des plus faibles peut être ressentie comme une gêne plutôt qu’une aide. Il est alors plus facile de s’échanger les réponses que d’expliquer aux autres des concepts ou des compétences.

Au contraire, si le groupe a pour tâche de s’assurer que chacun apprend quelque chose, il est dans l’intérêt de chaque coéquipier de passer du temps à expliquer les concepts aux autres. Les études consacrées au comportement des élèves au sein des groupes coopératifs montrent toutes systématiquement que ceux qui progressent le plus sont ceux qui apportent et reçoivent des explications approfondies. En fait, la pratique consistant à apporter ou recevoir des réponses sans aucune explication est négativement corrélée aux performances des groupes étudiés. La conscience des buts collectifs et d’une responsabilité personnelle incite les élèves à donner des explications et à prendre au sérieux les apprentissages des autres, au lieu de se contenter de souffler les réponses.

Une méta-analyse, portant sur 99 études d’au moins quatre semaines consacrées à l’apprentissage coopératif dans le primaire et le secondaire, compare les gains de performances dans les groupes observés par rapport au groupe témoin. Sur 64 études concernant les méthodes d’apprentissage coopératif qui accordent des récompenses de groupe basées sur le cumul des acquis individuels (Structured Team Learning Methods –  méthodes d’apprentissage structuré en équipes), 50 (78 %) font état d’effets significativement positifs sur les résultats, aucune ne constate d’effets négatifs. Pour les études à partir desquelles on a pu mesurer l’effet, la valeur médiane de l’effet s’élève à 0,32 (soit environ un tiers de l’écart-type entre les variables des groupes étudiés et celle du groupe témoin). En revanche, les études consacrées aux méthodes d’apprentissage informel en groupes dans lesquelles le but collectif se résumait à une seule production ou ne débouchait sur aucune récompense signalent très peu d’effets positifs, la valeur médiane de l’effet s’établissant à 0,07 seulement. Les analyses comparatives prenant en compte d’autres variables de ces mêmes études indiquent une situation analogue : la définition de buts collectifs basés sur le cumul des performances individuelles est une composante indispensable pour garantir l’efficacité pédagogique des modèles coopératifs.

Les méthodes d’apprentissage coopératif donnent de bons résultats pour tous les types d’élèves. Quelques rares études mettent en évidence des avantages spécifiques pour les bons élèves ou les élèves en difficulté, les filles ou les garçons ; mais la grande majorité insiste sur les gains enregistrés quelle que soit la catégorie d’élèves. Les enseignants ou les parents craignent parfois que les bons éléments soient freinés dans leurs apprentissages. Aucune recherche ne vient corroborer cette crainte : les bons élèves bénéficient tout autant de l’apprentissage coopératif que les élèves en difficultés. »

 
 
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