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Pédagogie Explicite - Articles
Écrit par Form@PEx   
Mardi, 10 Mai 2005 00:00

Source : Le Matin online, 05.2005

Propos recueillis par Blaise Willa

« L'école doit être efficace »
Entretien avec Clermont Gauthier

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Depuis la publication, cette semaine, des résultats médiocres obtenus par les écoles romandes dans l'enquête internationale PISA, la question “scolaire” est de nouveau sur le tapis et fait mal. Notre école est-elle efficace ? Le choix politique, entre pédagogies nouvelles et réformes successives, a-t-il toujours été fondé ? Les élèves ne paient-ils pas trop cher, dans les cantons de Vaud ou de Genève, le choix de méthodes “à la mode” ?

Hasard de calendrier, deux associations - l'une de parents, l'autre d'enseignants - ont invité demain à Lausanne et mardi à Genève le titulaire de la chaire de recherche du Canada en formation à l'enseignement, le professeur Clermont Gauthier, coauteur d'un ouvrage intitulé Échec scolaire et réforme éducative. Ses conclusions, documentées sur plus de trente-cinq ans, sont inquiétantes : selon lui, les pédagogies nouvelles ne sont pas adaptées à l'enfant. Pis, elles desservent les milieux défavorisés qu'elles sont censées intégrer. Interview.

Les résultats PISA pour la Suisse romande sont inquiétants. Beaucoup y voient le prix à payer de la “réformite” aiguë qui touche le système scolaire depuis de longues années...

Les réformes sont toujours animées d'une bonne volonté ! Reste à savoir quels moyens sont mis en place. Chez nous, au Québec, une réforme a été entreprise au vu du fort taux de décrochage dans le secondaire. Pour y parvenir, on a choisi la pédagogie de la découverte et l'approche par le projet. Or nous avons constaté dans nos recherches que des approches moins structurées, comme cette pédagogie dite “de la découverte”, semblent entraîner de moins bons résultats scolaires que des approches plus structurées, où l'enseignement est explicite, organisé et fonctionne du simple au complexe.

C'est là une critique sèche que vous adressez aux pédagogies héritées des années 1970...
Ces nouvelles pédagogies qui veulent mettre l'élève au centre datent d'au moins un siècle ! Elles ont toujours usé de la même rhétorique, en voulant s'opposer, à juste titre selon moi, aux pédagogies traditionnelles qui sont celles du cours purement magistral. De nombreuses approches ont été tentées, avec des résultats variables. Vouloir réduire le débat à une opposition simpliste entre l'innovateur et le conservateur est outrancier : je pense qu'il est préférable de parler d'efficacité. Parmi ces nouvelles pédagogies, lesquelles ont montré des effets positifs sur l'apprentissage des élèves ?

Vous révélez dans votre étude que ces pédagogies n'ont jamais vraiment fait l'objet d'évaluations empiriques. Elles reposeraient sur une foi, une croyance à la mode...

On peut avoir une croyance et des arguments raisonnables pour la soutenir. Mais c'est mieux d'avoir des faits démontrés empiriquement, ce qui n'a pas toujours été le cas ! Quant aux résultats, ils sont variables. Je ne défends donc pas toutes les pédagogies nouvelles. Ce que nous concluons, c'est qu'un enseignement systématique, structuré, qui va du simple au complexe, qui contient des stratégies comme le rappel des connaissances antérieures, qui propose un enseignement qui met les élèves au travail a de meilleurs résultats. En gros, c'est une pédagogie où le professeur montre et vérifie que l'élève comprend. La vérification constante est un ingrédient essentiel de l'enseignement structuré.

Ce que ne prônent pas toutes les pédagogies nouvelles...

En effet. Trop souvent, on met les élèves en situation de découverte alors qu'ils ne possèdent pas les connaissances nécessaires pour réaliser cette découverte. Dans ce processus, ils vont apprendre des erreurs dont le professeur n'a pas conscience immédiatement et qui vont se cristalliser. En outre, ce type d'enseignement prend du temps.

Vous montrez que ces méthodes, loin d'aider les plus défavorisés comme elles le prônent, les pénalisent...

Les élèves les plus nantis pourront toujours réussir quelle que soit la méthode pédagogique. En revanche, nos chiffres le montrent, les élèves en difficulté réussissent mieux dans le cadre d'une pédagogie structurée. Il semble, en effet, que les pédagogies de la découverte mettent les élèves face à des projets qu'ils ne peuvent appréhender, car ils n'ont pas les bases suffisantes. Déjà en difficulté, ils le seront donc plus encore. Ils vivront davantage d'échecs, détesteront davantage l'école et la quitteront pour certains.

Vous citez un chiffre inquiétant : 69 % des élèves faibles du groupe “enseignement dirigé” ont atteint le seuil de maîtrise prévu, comparativement à 15 % des élèves faibles du groupe “pédagogie de la découverte”...

Tous les chiffres ne sont pas si extrêmes, mais il est vrai qu'on a un problème avec cette pédagogie de la découverte.

Quelles conséquences devraient donc avoir vos études ?

Je pense qu'elles devraient faire réfléchir. Ici, au Québec, la réforme propose un virage à 180 degrés. On serait en droit d'attendre des études qui fondent cette décision. Or il n'y a rien de tel.

Au-delà des chiffres, n'est-ce pas aussi une lutte idéologique ?

Je sais qu'en France, contrairement au Québec, nos travaux ont été récupérés par la droite. Je pense qu'il faut adopter une position de chercheur : quelle méthode est la plus efficace ? Notre objectif ne devrait pas être d'éliminer les élèves, mais d'en faire réussir le plus grand nombre possible. Je crois qu'on veut souvent faire porter à l'élève la faute de son manque de talent plutôt que de parler de notre manière d'enseigner. On pourrait augmenter la réussite des élèves si on enseignait mieux. Il faut donc une base de connaissances qui donne des indications. On ne change pas pour du pire.

Quelles sont les pédagogies efficaces ?, conférence à Lausanne lundi 9 mai, Palais de Rumine, 18 h. A Genève, mardi 10 mai, Uni-Mail, 20 h

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