L'enseignement explicite - Entrevue avec Steve Bissonnette Imprimer Envoyer
Pédagogie Explicite - Articles
Écrit par Frédéric Morneau-Guérin   
Jeudi, 16 Juin 2022 12:49

Frédéric Morneau-Guérin

L'enseignement explicite
Entrevue avec Steve Bissonnette

Les Cahiers de lecture de L'Action nationale, Volume XVI, numéro 3, Été 2022, pp 20-21

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Steve Bissonnette est professeur titulaire au Département d'éducation de la TÉLUQ. Fort d'une expérience de 25 ans auprès des élèves en difficulté et du personnel scolaire dans les écoles élémentaires et secondaires ainsi qu'en centre jeunesse, M. Bissonnette a prononcé plus de 525 communications en éducation et a participé à la rédaction de plus de 80 publications sur des thèmes comme l'efficacité de l'enseignement, l'enseigne­ment explicite, la gestion efficace des comportements ainsi que les approches pédagogiques favorisant la réussite des élèves en difficulté. Je me suis entretenu avec Steve Bissonnette à l'occasion de la parution récente deux ouvrages collectifs qu'il a codirigés et auquel il a également contribué à titre d'auteur.

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Frédéric Morneau-Guérin : Vous avez codirigé, respectivement avec Pr. Érick Falardeau et Pr. Mario Richard et avec Pr. Clermont Gauthier et Marie Bocquillon Ph.D., des ouvrages collectifs intitulés L'enseignement explicite dans la francophonie (2021) et Questions théoriques et pratiques sur l'enseignement explicite (2022) publiés aux presses de l'Université du Québec. Pouvez-vous nous présen­ter ce qui constitue les fondements de l'enseignement explicite des contenus en replaçant cette approche dans le contexte qui en révèle le sens et en retraçant brièvement son histoire depuis son origine jusqu'à aujourd'hui ?

Steve Bissonnette : Au début des années 60, des chercheurs ont constaté que, dans des conditions similaires, il existait une grande varia­tion en matière d'efficacité entre les enseignants. Ces cher­cheurs ont observé les comportements des enseignants en contexte réel d'enseignement afin d'identifier les pratiques utilisées par ceux qui produisent les gains d'apprentissage les plus élevés auprès des élèves. Ces études ont été nommées « recherches processus-produits ». Par la suite, des recherches expérimentales ont confirmé que les enseignants entrainés à utiliser les pratiques d'enseignement efficaces, identifiées par les études processus-produits, faisaient davantage progresser leurs élèves. Une synthèse de ce type de recherches réalisée par le chercheur en psychopédagogie américain Barak Rosenshine a montré qu'il existe une sorte de pattern d'ensei­gnement efficace qu'il a nommé enseignement explicite.

L'enseignant qui enseigne explicitement évite l'implicite et le flou qui pourraient nuire à l'apprentissage. Pour y arriver, il met en place un ensemble de mesures de soutien aidant les élèves dans leur processus d'apprentissage. Ces mesures de soutien ou d'étayage passent par les actions de dire, de montrer et de guider les élèves dans leur apprentissage. Dire, au sens de rendre explicites pour les élèves les intentions et les objectifs visés par la leçon. Dire, aussi au sens de rendre explicites et disponibles pour les élèves les connaissances antérieures dont ils auront besoin. Montrer, au sens de rendre explicite pour les élèves l'accomplissement d'une tâche en l'exécutant devant eux et en énonçant le raisonne­ment suivi à voix haute. Guider, au sens d'amener les élèves à rendre explicite leur raisonnement implicite en situation de pratique. Guider, aussi au sens de leur fournir une rétroac­tion appropriée, afin qu'ils construisent des connaissances adéquates avant que les erreurs ne se cristallisent dans leur esprit. La fonction principale de ces mesures de soutien est d'éviter de surcharger la mémoire de travail des élèves. On sait maintenant, grâce aux travaux réalisés sur l'architecture cognitive, que la capacité de la mémoire de travail est limitée, de sorte que, pour faciliter l'apprentissage, il est préférable pour l'enseignant de décomposer le savoir ou la compétence à faire acquérir en composantes plus simples que les élèves apprennent progressivement.

FMG : Pour quelles disciplines et quels contenus, sous quelles conditions, dans quels contextes et pour quelles catégories d'élèves l'efficacité supérieure de l'enseignement explicite - par rapport à un enseignement de type (socio)constructiviste - est-elle démontrée ? Pouvez-vous nous donner quelques explications nous permettant d'apprécier la robustesse du niveau de preuve ?

SB : Rosenshine indique qu'un enseignement explicite consis­tant à présenter la matière de façon fractionnée, marqué d'un temps pour vérifier la compréhension, et assurant une partici­pation active et fructueuse de tous les élèves est une méthode d'enseignement particulièrement appropriée pour favoriser l'apprentissage de la lecture, des mathématiques, de la gram­maire, de la langue maternelle, des sciences, de l'histoire et, en partie, des langues étrangères. L'enseignement explicite est également profitable à tous les élèves quand il s'agit d'une matière ordonnée, d'une matière nouvelle ou complexe, et ce, même avec des élèves plus performants. L'efficacité de l'enseignement explicite a été montré dans de nombreuses synthèses de recherches et de méta-analyses. À ce sujet, une méga-analyse réalisée par Bissonnette, Richard, Gauthier et Bouchard, en 2010, ayant analysé les résultats provenant de 11 méta-analyses, incluant 362 recherches publiées entre 1963 et 2006 et impliquant au-delà de 30 000 élèves, a montré l'efficacité élevée de l'enseignement explicite sur l'apprentis­sage des élèves en lecture, en écriture et en mathématiques. D'autres synthèses de recherches identifiées par Hughes, Riccomini et Morris (2010) ont également les effets positifs de l'enseignement explicite.

FMG : Que répondez-vous à ceux qui reprochent à l'enseignement explicite d'être une pédagogie centrée sur l'enseignant, voire un mode autoritaire et directif d'enseignement magistral confinant l'apprenant dans un rôle passif ?

SB : Ce type de commentaire représente une caricature grossière et une méconnaissance de l'enseignement expli­cite. L'enseignement explicite est souvent assimilé, à tort, à l'enseignement magistral alors qu'il en est très différent. Gauthier, Bissonnette et Richard (2013) ainsi que Bocquillon Derobermasure et Demeuse (2019) ont mis en évidence quatre différences majeures entre l'enseignement explicite et l'ensei­gnement magistral. Premièrement, l'enseignement magistral prend souvent la forme d'un monologue de la part de l'ensei­gnant alors que l'enseignement explicite prend la forme d'un dialogue constant entre l'enseignant et les élèves notamment sous la forme de questions-réponses. Deuxièmement, dans l'enseignement magistral, la vérification de la compréhension des élèves a généralement lieu à la fin de la leçon, alors que dans l'enseignement explicite, cette vérification se fait toutes les deux à trois minutes et ce, dès le début de la présentation de l'objectif en début de leçon. Troisièmement, lorsqu'ils suivent un enseignement magistral, les élèves sont passifs, ce qui n'est pas du tout le cas lorsqu'ils suivent un enseignement explicite qui, au contraire, les sollicite constamment pour des réponses verbales, écrites, gestuelles, etc. Enfin, dans l'enseignement magistral, l'enseignant passe de la théorie aux exercices sans passer par une étape de pratique guidée. Dans l'enseignement explicite, les exercices sont importants (pour permettre la rétention en mémoire à long terme et l'automa­tisation) mais sont précédés des étapes de modelage et de pratique guidée.

FMG : La gestion de classe représente un défi pour la majorité des enseignants. Bête noire des novices, elle figure en tête de liste des motifs d'abandon de la profession enseignante. Vous êtes de ceux qui soutiennent qu'il est possible d'élargir la portée de l'enseigne­ment explicite à la gestion des comportements. Comment la bonne conduite peut-elle être enseignée explicitement aux élèves ? De quelles preuves disposons-nous aujourd'hui pour étayer la thèse voulant que l'enseignement explicite des comportements attendus permette de favoriser l'établissement et le maintien d'un environ­nement favorable à l'apprentissage, voire de réduire l'indiscipline de même que les incidents de violence et d'intimidation ?

SB : Cette preuve a été montrée par les nombreuses recherches publiées sur le système Positive Behavioral Interventions & Supports (PBIS) désigné en français Soutien au Comportement Positif (SCP). Le système préconise l'adoption d'une approche à l'échelle de l'école entière dans laquelle on prend les devants en matière de discipline et on se fonde sur l'idée que les comportements souhaités en classe et hors classe doivent être définis précisément, enseignés explicitement en contexte réel et être reconnus lors de leur manifestation. De plus, un continuum d'interventions est défini afin d'agir rapidement et effi­cacement auprès des problématiques comportementales et de soutenir l'adoption des comportements préalablement ensei­gnés. La méta-analyse produite par Deltour, Dachet, et Baye, soumise pour publication, montre les effets positifs du SCP tant du côté des élèves que des enseignants.

Les résultats que nous pouvons attendre de la mise en place du Soutien au Comportement Positif sur les élèves en matière de comportement, de climat scolaire, de présence à l'école ainsi qu'en matière de maîtrise des compétences sco­laires, sont largement mis en lumière dans les études reprises dans cette revue systématique. Il en va de même pour les effets sur les enseignants relativement au climat scolaire et à leur sentiment d'efficacité tant personnelle que collective, même s'ils sont moins investigués que ceux portant sur les élèves.

FMG : Quelle place réserve-t-on, à l'heure actuelle, à l'enseigne­ment explicite des contenus et à l'enseignement explicite des com­portements dans les programmes de formation initiale des futurs enseignants québécois et, plus généralement, dans les facultés d'éducation québécoise ? Qu'en est-il dans les sociétés présentant une certaine proximité géographique, culturelle ou linguistique avec le Québec ?

SB : À notre connaissance l'enseignement explicite des contenus et des comportements n'a pas encore la place qu'il devrait occuper car le courant constructiviste, et son dérivé le socioconstructivisme, dominent largement le discours universitaire dans les facultés d’éducation, et ce, un peu par­tout dans le monde. Malheureusement le recours aux données probantes est généralement peu utilisé en éducation, comme l'a souligné à de nombreuses reprises le psychologue américain Robert Slavin, et cela pourrait expliquer cet état de fait. Espérons pour nos élèves et le personnel scolaire que cette situation puisse changer au cours des prochaines années !

 

 
 
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