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Pédagogie Explicite - Barak Rosenshine
Écrit par Barak Rosenshine   
Mercredi, 01 Janvier 1986 00:00

Barak Rosenshine

Vers un enseignement efficace des matières structurées
Un modèle d'action inspiré par le bilan des recherches processus-produit

In Marcel CRAHAY et Dominique LAFONTAINE, L’art et la science de l’enseignement, Éditions Labor (coll. Éducation 2000), p. 81-96, 1986

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Parmi les recherches sur les relations entre l'enseignement et le rendement des élèves, on distingue trois périodes. Les recherches de la première période ont porté sur la personnalité et les caractéristiques de l'enseignant. La seconde période a vu l'intérêt se déplacer sur l'interaction maître-élèves. Les études de la troisième vague mettent l'accent sur l'attention de l'élève, les contextes qui la favorisent et le contenu que l'élève est amené à maîtriser. C'est aux recherches de ce dernier type que sera consacré le présent chapitre. Auparavant, nous examinerons quelques travaux caractéristiques des deux premières périodes.

 

1. PREMIÈRE ET DEUXIÈME PÉRIODES

 

Les travaux de la première période, tels ceux d'A.S. Barr et de ses collaborateurs se centrent sur les variables présomptives : attitudes, intérêt, personnalité des enseignants, ou d'autres variables comme le degré de maîtrise de la matière à enseigner ou la durée de la formation initiale. Leur objectif est de déterminer lesquelles de ces variables vont significativement de pair avec une augmentation du rendement des élèves ou une meilleure appréciation des enseignants par leurs directeurs. A propos de ces recherches, Gage dresse le bilan suivant : « Ces études ont produit des résultats décevants : les corrélations soit ne sont pas significatives, soit ne se retrouvent pas d'une étude à l'autre. D'une manière générale, elles manquent de signification psychologique ou pédagogique » (Gage, 1963, p. 118). De leur côté, Getzels et Jackson (1963) écrivent qu'« en dépit d'un demi-siècle de considérables efforts de recherche, on ne sait rien de solide sur les liens entre la personnalité des enseignants et leur efficacité pédagogique » (p. 574).

La seconde période débute dans les années cinquante, avec les travaux de N. Flanders, D. Medley et H. Mitzel. Ils s'attachent principalement à compter de manière systématique des comportements spécifiques du maître et des élèves et à corréler leur fréquence avec des mesures de rendement. Les variables étudiées sont d'abord les interactions maître-élèves, bien que quelques études se soient penchées sur des comportements propres aux maîtres. De telles études sur les interactions maître-élèves continuent d'ailleurs à être menées.

En 1971, dans la première synthèse consacrée aux travaux de cette seconde période, Rosenshine et Furst (1971) ont relevé les dix variables pour lesquelles les résultats les plus cohérents ont été observés : clarté de la présentation, dynamisme de l'enseignant, diversité des activités pendant la leçon, comportements centrés sur la tâche, contenu couvert au cours d'une leçon, acceptation et encouragement des idées de l'élève pendant la discussion, critiques adressées à l'étudiant (corrélées négativement avec le rendement), présence de commentaires structurants au début et en cours de leçon, diversité des questions, approbation des réponses de l'élève par le maître.

 

2. TROISIÈME PÉRIODE

 

Les recherches de la seconde période, dite “interactive”, sont bien vivantes et se poursuivent ; certaines des études accomplies depuis 1973 ont produit des résultats encourageants. Toutefois, l'attention s'est récemment détournée des variables spécifiques, pour envisager des unités plus larges, comme la taille du groupe-classe, la façon stratégiquement efficace de réagir aux réponses incorrectes, pour gérer le travail individuel des élèves et le taux optimal d'erreurs dans les réponses aux questions.

Les recherches de cette troisième veine ont permis de définir un style pédagogique particulièrement bien adapté à l'enseignement de matières bien circonscrites ou d'habiletés caractérisées par des comportements observables. Cette méthode systématique d'enseignement consiste à présenter la matière de façon fractionnée, à marquer un temps pour vérifier la compréhension de l'élève, à assurer une participation active et fructueuse de tous.

Elle est issue de recherches consacrées à la lecture et la mathématique dans des écoles urbaines fondamentales ou dans le secondaire inférieur. Toutefois, leurs résultats peuvent s'appliquer avec un égal bonheur à toutes les matières fortement structurées, quand l'objectif est d'enseigner une performance spécialisée ou de faire maîtriser tel ou tel contenu. Cette méthode s'applique, en particulier, à l'apprentissage de la lecture, de la mathématique, de la grammaire de la langue maternelle, des sciences, de l'histoire et, en partie, des langues étrangères. En revanche, elle se révèle moins adéquate dans des domaines faiblement structurés, où les habiletés à acquérir ne s'organisent pas en un ensemble d'étapes bien définies, tels que la composition, la rédaction de comptes rendus, la compréhension de la lecture, l'analyse littéraire ou historique, la discussion de questions sociales.

 

A. Portrait du maître efficace

Les chercheurs ont établi qu'en général les maîtres efficaces, lorsqu'ils enseignent une matière bien structurée :
- commencent par définir brièvement les objectifs et par rappeler les apprentissages antérieurs ou prérequis ;
- présentent la matière nouvelle par petites étapes, chacune étant suivie d'exercices ;
- donnent des consignes et des explications claires et détaillées ;
- organisent un nombre élevé d'exercices pratiques pour tous les élèves ;
- posent beaucoup de questions, vérifient la compréhension des élèves et obtiennent des réponses de tous ;
- guident les élèves au cours des premiers exercices ;
- fournissent  des  feedback  systématiques  et  corrigent  les erreurs ;
- donnent des consignes et des exemples explicites pour les exercices que l'élève doit accomplir seul et, le cas échéant, le pilotent durant ce travail.

Assurément, tous les maîtres mettent en œuvre, de temps à autre, quelques-uns de ces comportements, mais les plus efficaces d'entre eux en adoptent une majorité de manière systématique et quasi permanente.

 

B.  Limites d'utilisation

Prétendre que cette approche fractionnée s'applique à tous les élèves et à toutes les situations serait inexact. En réalité, elle se révèle surtout adaptée pour les élèves jeunes et pour ceux qui apprennent lentement, quel que soit leur âge. Elle profitera à tous quand il s'agit d'une matière ordonnée de façon hiérarchique, d'une matière nouvelle ou complexe.

Dans tous ces cas, il semble indiqué d'enseigner par petites étapes : brèves présentations suivies de questions pour vérifier la compréhension, exercices sous contrôle du maître, puis exercices par l'élève seul. Au contraire, si l'on enseigne à des élèves plus âgés, plus rapides, si l'on est déjà avancé dans une matière, les étapes peuvent être plus grandes : les exposés se font plus longs et 1 on passe moins de temps à vérifier la compréhension ou à surveiller les exercices pratiques. Même avec des étudiants brillants, il est néanmoins plus efficace d'en revenir à un enseignement à “petits pas” quand la matière se fait plus complexe.

 

C.  Une confirmation : les recherches sur le traitement de l'information

Une autre manière d'appréhender la méthode d'enseignement systématique [1] est de l'examiner à la lumière des recherches récentes sur le traitement de l'information par le cerveau humain. Ces recherches s'appliquent à trois domaines : les limites de la mémoire de travail, le transfert de la mémoire de travail à la mémoire à long terme, l'importance d'installer et de poursuivre la pratique jusqu'à une maîtrise complète par l'apprenant.

Les théories actuelles dans ce domaine soulignent les limites de nos capacités de traitement : la masse d'informations qu'un apprenant peut envisager et traiter efficacement est restreinte. Nous pouvons traiter environ sept unités à la fois dans notre mémoire de travail. Si trop d'informations sont présentées à la fois ou si la demande de traitement est trop élevée, notre mémoire de travail est submergée : nous nous embrouillons, nous oublions ou nous bâclons la matière ; nous ne la traitons pas (Jobias, 1982).

Lorsqu'un enseignant aborde une matière nouvelle ou complexe, il est indiqué qu'il procède par petites étapes, de manière à ce que la mémoire de travail puisse l'assimiler. Mieux, l'enseignant peut aider les élèves en soulignant les aspects importants et en dressant un canevas, de telle sorte que ceux-ci se centrent sur les points essentiels.

Autre point à prendre en considération : nous devons traiter la nouvelle matière de façon à la transférer de la mémoire de travail à la mémoire à long terme, autrement dit élaborer, réviser, répéter, résumer, amplifier l'information. Ceci suppose que l'enseignant fournisse à tous les élèves l'occasion de s'exercer activement. L'enseignant peut faciliter le traitement en posant des questions, en invitant les élèves à résumer les principaux points et à s'aider mutuellement, ou encore en les supervisant au fur et à mesure qu'ils progressent dans l'acquisition d'un savoir-faire.

Dernier point : une pratique intense et des révisions fréquentes sont nécessaires après le premier apprentissage, si l'on veut que la matière puisse être rappelée sans effort et de façon automatique dans le travail futur. Quand le premier apprentissage est devenu automatique, de l'espace de notre mémoire de travail se libère et peut être utilisé pour l'application ou une réflexion de haut niveau.

 

3. SIX FONCTIONS D'ENSEIGNEMENT

 

On distingue généralement six fonctions dans l'acte d'enseignement : révision, présentation de nouvelles matières, exercices dirigés, feedback et corrections, exercices individuels, révisions hebdomadaires et mensuelles. Les recherches sur l'apprentissage, sur l'efficacité de l'enseignement et sur le traitement de l'information permettent aujourd'hui d'agencer ces composantes de manière satisfaisante.

Ces six fonctions n'ont rien de neuf. Tous les enseignants en exercent certaines épisodiquement ; les enseignants efficaces, en revanche, les mettent en œuvre la plupart du temps, d'une façon à la fois logique et systématique. Dans un enseignement moins efficace, la révision peut être rare et peu systématique, les démonstrations courtes ou peu claires, les élèves ne s'exercent pas suffisamment, les enseignants corrigent trop peu d'erreurs, consacrent trop de temps aux exercices individuels et trop peu aux démonstrations ou aux exercices dirigés.

Examinons comment les composantes spécifiques d'une leçon peuvent être agencées de façon à engendrer un enseignement systématique.

 

A. Aménager des révisions quotidiennes

Les enseignants efficaces débutent la leçon par une révision (5 à 8 minutes) de la matière précédente ; ils corrigent le travail effectué à domicile et révisent les concepts à utiliser dans la leçon du jour. L'objectif est de s'assurer que les élèves possèdent réellement les prérequis. Le maître peut ainsi revoir les concepts et les savoir-faire qui étaient indispensables pour l'accomplissement du travail à domicile ; amener les élèves à corriger mutuellement leurs travaux écrits ; les interroger sur les points où ils ont éprouvé des difficultés ou commis des erreurs ; revoir les faits et habiletés qui requièrent un apprentissage complémentaire ou organiser d'autres exercices à ce propos.

La révision quotidienne se révèle particulièrement importante lors de l'enseignement d'une matière hiérarchisée qui fera l'objet d'apprentissages ultérieurs (mathématique, vocabulaire en langue maternelle, grammaire et vocabulaire en langues étrangères, données factuelles relatives aux diverses sciences). Elle apparaît éga­lement essentielle pour l'enseignement de procédures telles que le calcul et la factorisation en mathématique ou les équations en chimie.

On pourrait penser que la révision régulière est une pratique qui va de soi. Or on a découvert (Good et Grouws, 1979) que les enseignants n'organisent de telles révisions que dans 15 % de leurs leçons. La révision au jour le jour n'est donc pas si répandue qu'on pourrait le croire.

 

B. Comment présenter les nouvelles matières

Tous les enseignants font des exposés, c'est là une évidence. Cependant, des recherches récentes ont fait apparaître que les professeurs de mathématique efficaces y consacrent plus de temps que leurs collègues moins efficaces (Evertson et al., 1980  ; Good et Grouws, 1979). Ainsi, Evertson et al. (1980) ont montré que les professeurs de mathématique les plus efficaces passent environ 23 minutes par leçon à exposer, discuter une matière, tandis que les enseignants les moins efficaces n'y consacrent que 11 minutes. Les maîtres efficaces utilisent ce temps de présentation supplémentaire pour répéter leurs explications, fournir de multiples exemples, vérifier la compréhension des élèves et dispenser des consignes suffisamment précises pour que les exercices individuels puissent être accomplis sans difficulté majeure. En revanche, les enseignants peu efficaces présentent et expliquent la matière de façon plus succincte et passent tout de suite aux exercices individuels. Dans de telles conditions, les élèves réussissent moins bien, car ils ne sont pas vraiment prêts à travailler seuls  ; ils commettent dès lors trop d'erreurs et l'apprentissage doit être recommencé.

Première étape dans la présentation efficace d'une nouvelle matière : centrer l'attention de l'apprenant sur ce qu'il a à apprendre et à faire, en lui fournissant un objectif comportemental bref, tel que “à la fin de la leçon, tu seras capable de distinguer métaphore, comparaison et personnification”, ou “aujourd'hui, vous apprendrez à résoudre des problèmes en faisant des multiplications de nombres entiers de deux chiffres”. Ces objectifs focalisent l'attention de l'apprenant et réduisent la complexité de la présentation. Ils aident en outre l'enseignant à ne pas disperser ses efforts et à éviter les digressions.

Les enseignants efficaces se concentrent ensuite sur un point à la fois, mettant successivement en jeu de brèves présentations abondamment illustrées. Les exemples fournissent un support concret, utile pour le traitement de la nouvelle matière. Présenter trop de matière à la fois peut embrouiller les élèves  ; leur mémoire à court terme est, on l'a vu, incapable de la traiter.

Des recherches ont également montré que le traitement est facilité si des points de repère sont explicités. L'apprenant est plus concentré et le nombre de points ambigus à traiter s'en trouve réduit. L'enseignant, de son côté, doit éviter des expressions vagues comme “une espèce de...”, “comme vous voyez” et “quelques” ; celles-ci manquent en effet de clarté et peuvent embrouiller l'élève confronté à une nouvelle matière.

Au cours de la présentation, les maîtres efficaces s'interrompent pour tester la compréhension en interrogeant les élèves, en leur demandant de résumer ce qui vient d'être exposé ou en sollicitant leur avis sur les réponses de leurs pairs. Ce contrôle informe le maître sur la nécessité de réenseigner ou non la matière. La mauvaise façon de s'assurer de la compréhension est de demander : “Y a-t-il des questions ?” et, en l'absence de questions, de considérer que les élèves ont saisi la matière.

 

C. Comment diriger les exercices

Après la présentation de notions complexes, le maître en vient à des exercices que l'élève effectue sous son contrôle. Leur objectif principal est de permettre la pratique active, la mise en valeur et l'élaboration nécessaires au transfert du nouvel apprentissage de la mémoire de travail à la mémoire à long terme.

1. Poser des questions

Une voie possible pour assurer une pratique active consiste à poser des questions. Nombre d'études corrélationnelles ont montré que les enseignants les plus efficaces [2] — l'efficacité étant mesurée en termes de gain de rendement chez les élèves — posent un grand nombre de questions (Stallings et Kaskowitz, 1974 ; Stallings et al., 1977, 1979 ; Soar, 1973 ; Coer, Lorentz et Coker, 1980). Dans une étude portant sur l'enseignement de la mathématique dans le secondaire inférieur (Evertson, Anderson et Anderson, 1980), il apparaît que les maîtres les plus efficaces posent en moyenne 24 questions pendant une période de 50 minutes, tandis que les moins efficaces en posent seulement 8,6.

Dans deux études expérimentales (Anderson et al., 1979 ; Good et Grouws, 1979), on demandait aux enseignants, après la présentation de la nouvelle matière, d'organiser des exercices dirigés en utilisant beaucoup de questions  ; dans chacune des deux études, les enseignants des groupes expérimentaux ont obtenu de leurs étudiants un meilleur rendement que ceux des groupes contrôle.

Au cours des exercices dirigés, deux types de questions sont généralement posés : des questions appelant une réponse spécifique et d'autres où l'élève explique comment il a trouvé la réponse. Dans toutes ces études, l'élément essentiel est cependant la fréquence des exercices. Les élèves ont besoin d'une pratique intensive quand ils abordent une nouvelle matière, et les enseignants efficaces leur en fournissent l'occasion.

Quand on enseigne des savoir-faire, l'exercice dirigé consiste à laisser les élèves mettre progressivement ces habiletés en pratique, sous la supervision du maître. Certains élèves travaillent au tableau, d'autres assis à leur table. Quand l'enseignant sent qu'ils sont prêts, il passe à l'étape suivante. S'ils ne sont pas prêts, on leur donne des exercices supplémentaires. De la sorte, une pratique suffisante est assurée avant que les élèves ne commencent à travailler individuellement.

Tous les enseignants, assurément, consacrent du temps à encadrer les exercices. Cependant, les maîtres les plus efficaces y consacrent davantage de temps, passent davantage de temps à, poser des questions, à corriger les erreurs, à répéter le contenu enseigné, ainsi qu'à aider les élèves à résoudre les problèmes.

2. Organiser les exercices de manière à obtenir un pourcentage élevé de réponses correctes

Si la fréquence des questions chez le maître est importante, le pourcentage de réponses correctes chez l'élève l'est tout autant. Nombre d'études ont montré que les enseignants efficaces obtiennent de leurs élèves un taux élevé de réponses exactes (Fisher et al., 1980 ; Anderson et al., 1979 ; Gerstein, Carnine et Williams, 1981). Ainsi, dans une étude sur la mathématique menée en 4e année primaire, Good et Grouws (1979) ont découvert que les enseignants les plus efficaces obtenaient 82 % de réponses correctes, les moins efficaces 76 %.

3. Assurer la participation active des élèves

Les élèves doivent mettre en pratique et traiter les nouveaux apprentissages. Les enseignants s'efforcent généralement de stimuler ce traitement en interrogeant les élèves individuellement de façon à accroître leur participation active ; ils peuvent ainsi leur demander de répéter les consignes, les procédures, les points essentiels ou poser de brèves questions sur des aspects importants.

La mauvaise manière de vérifier la compréhension est de poser peu de questions, d'interpeller des volontaires que les autres écoutent (leurs réponses sont généralement correctes) et de considérer ensuite que la classe a compris ou appris en entendant les volontaires.

Il ne fait pas de doute que tous les enseignants sont soucieux de faire participer activement les élèves. Les plus efficaces d'entre eux le font fréquemment et systématiquement, et mettent en œuvre des procédures qui assurent une pratique active et couronnée de succès pour tous les élèves.

Les enseignants ont trouvé des moyens ingénieux pour augmenter la participation des élèves – notamment les inclure tous dans un jeu de questions-réponses. Voici quelques exemples de ces procédures. Chaque étudiant :
a) fournit la réponse à son voisin ;
b) résume l'idée principale en une ou deux phrases, écrit son résumé sur un bout de papier et le communique à son voisin ;
c) écrit la réponse sur une ardoise et la montre aux autres ;
d) lève le pouce s'il connaît la réponse (le maître peut ainsi contrôler la classe entière) ;
e) lève le doigt s'il est d'accord avec la réponse de quelqu'un d'autre ;
f) montre différentes cartes colorées si la réponse est a, b ou c.

D'autres enseignants sollicitent des réponses “en chœur”, lorsqu'ils enseignent du vocabulaire ou des listes d'événements. Cela confère à la pratique un caractère ludique. Pour que ce soit efficace, cependant, tous les élèves doivent commencer ensemble, à un signal donné. En l'absence de signal, seuls quelques élèves répondent et les autres s'exercent insuffisamment.

L'objectif des procédés cités (cartes, doigts levés, réponses écrites sur un bout de papier) est d'encourager la participation des élèves tout en permettant au maître de vérifier combien d'entre eux fournissent avec assurance une réponse correcte. Si on trouve ces procédés ostentatoires trop enfantins, on peut toujours inviter les élèves à écrire leurs réponses et à se corriger immédiatement les uns les autres. De la sorte, une pratique active est assurée et le maître sait s'il doit fournir des renseignements ou des exercices supplémentaires. (Certains enseignants expliquent aux étudiants qu'ils agissent ainsi pour connaître le niveau de la classe ; si ceux-ci refusent la participation “à visage découvert”, ils peuvent toujours se soumettre à un examen.)

4. L'importance des exercices dirigés

Que l'on enseigne les étapes de la dissection, l'utilisation d'un package sur ordinateur, la résolution d'un problème de géométrie ou la rédaction d'un rapport, il est tout à fait inapproprié de passer directement aux exercices individuels après la présentation. Il est de loin préférable d'envisager une étape intermédiaire composée d'exercices dirigés.

L'une des erreurs les plus graves que l'on puisse commettre est de se dire : “Il suffit que je leur dise quelque chose pour qu'ils apprennent et soient capables de l'appliquer”. Les recherches sur le traitement de l'information nous apprennent en effet que l'assimilation d'une nouvelle matière requiert un long temps de traitement — c'est-à-dire de reformulation, répétition, synthèse, si l'on veut que la matière puisse être retrouvée aisément dans la mémoire à long terme.

 

D. Comment organiser les exercices individuels

A la fin des exercices dirigés, on peut s'attendre à ce que les élèves accomplissent différentes tâches correctement, mais avec quelque hésitation. Les exercices individuels doivent leur permettre d'acquérir une véritable aisance. Après un solide entraînement, les élèves arrivent à un stade où leur démarche s'exerce de façon automatique ; ils procèdent alors avec succès et rapidité, sans devoir réfléchir à chacune des étapes. L'avantage de cette “automaticité” est que l'attention tout entière peut se reporter sur la compréhension et l'application.

Des exercices individuels intensifs, menés jusqu'à ce que l'élève agisse machinalement, sont particulièrement nécessaires lorsqu'il s'agit de manipuler du matériel ou d'apprendre “les gestes qui sauvent”. Dans de tels cas, en effet, on n'a généralement pas le loisir de réfléchir, et l'élève doit s'être exercé suffisamment pour pouvoir répondre automatiquement à une situation critique.

1. Gestion des exercices individuels

Des recherches ont mis en évidence que les élèves s'investissent davantage dans leur travail si l'enseignant circule dans la classe, les conseille et les surveille (Fisher et al., 1978). Ces contacts, toutefois, doivent être brefs : 30 secondes en moyenne, tout au plus.

On a, par ailleurs, montré que les élèves dont les maîtres ont consacré plus de temps aux exercices dirigés travaillent davantage individuellement (Fisher et al., 1978)  ; on voit donc l'importance de bien préparer les élèves avant l'exercice individuel. Quand les enseignants doivent fournir d'abondantes explications durant le travail individuel, les élèves commettent davantage d'erreurs. Or si de tels compléments d'information sont nécessaires, c'est que l'explication initiale et la pratique dirigée étaient insuffisantes.

2. Soutien mutuel des élèves

Certains chercheurs ont mis au point des procédés d'entraide des élèves durant le travail individuel (Johnson et Johnson, 1975 ; Sharon, 1976, 1980 ; Slavin, 1980). Ainsi, Slavin (1980) groupe des élèves de capacités égales en équipes et celles-ci s'enseignent mutuellement la matière. La recherche montre que les étudiants apprennent plus dans ces conditions que dans les conditions habituelles. Il est probable que les avantages viennent en partie du fait que la matière doit être expliquée à quelqu'un d'autre, et vice versa. Ces situations de coopération/compétition se révèlent aussi favorables pour les élèves lents, qui bénéficient ainsi d'un complément d'information pendant le travail individuel.

 

E. Fournir des feedback et organiser des procédures de correction

Que ce soit au cours des exercices dirigés, du contrôle de la compréhension, au cours de la récitation ou de la démonstration, comment un enseignant doit-il réagir à la réponse d'un élève ?

La recherche nous apprend que si un élève a répondu correctement et avec assurance, l'enseignant peut se contenter de poser une autre question ou d'approuver brièvement la réponse sans casser le rythme de l'exercice. En revanche, si l'élève fournit une réponse correcte, mais hésitante, il est important de lui confirmer la réponse et même de fournir un “feedback sur le processus” [3]. Le terme, forgé par Good et Grouws (1979), signifie que le maître réexplique le processus qui a été suivi pour aboutir à la réponse correcte (“c'est juste, parce que...”). Un tel feedback fournit à l'apprenant une explication complémentaire, parfois bien utile en cas d'hésitation.

Que l'on suggère simplement ou que l'on réexplique, l'essentiel est que les efforts ne restent pas sans correction. Si un élève a commis une erreur, rien n'est plus inapproprié que d'énoncer simplement la réponse correcte et de poursuivre.

Dans leur synthèse sur l'efficacité de l'enseignement supérieur, Kulik et Kulik (1979) montrent que celui-ci est plus efficace quand les étudiants reçoivent un feedback immédiat après leur examen et quand ils doivent reprendre l'étude et subir un autre test si leurs notes n'atteignent pas un seuil donné. Ces deux conclusions s'appliquent également ici : les élèves apprennent mieux s'ils reçoivent un feedback immédiat ; les erreurs doivent être corrigées avant qu'elles ne deviennent des habitudes.

 

F. Aménager des révisions hebdomadaires et mensuelles

Certains des programmes efficaces menés dans les écoles fondamentales comportent de fréquentes plages de révision. Par exemple, Good et Grouws (1979) recommandent aux maîtres de revoir le travail de la semaine tous les lundis et le travail du mois un lundi sur quatre. Ces tests et révisions fournissent aux élèves l'entraînement supplémentaire dont ils ont besoin pour atteindre une habileté réelle et appliquer leurs connaissances et savoir-faire à d'autres domaines.

Cette recommandation vaut également pour l'enseignement supérieur (college). Kulik et Kulik (1979) ont montré que même à ce niveau, les classes où l'on organise des contrôles hebdomadaires ont un meilleur rendement que celles où l'on n'en organise qu'un ou deux par période.

 

4. L'ENSEIGNEMENT DE MATIÈRES FAIBLEMENT STRUCTURÉES

 

Comme on le voit, on sait pas mal de choses sur l'enseignement des matières fortement structurées, faites d'habiletés explicites. Qu'en est-il dans des domaines faiblement structurés, tels que la composition, la rédaction d'un compte rendu, l'analyse littéraire, ou l'application d'une connaissance à un autre domaine ? Malgré l'intérêt que cela présenterait, il ne sera pas simple de transposer les recommandations à ces domaines, parce qu'ils sont faiblement structurés et que peu d'habiletés isolables peuvent être enseignées.

Quelques indications peuvent être déduites de l'étude des processus mentaux d'experts, c'est-à-dire de personnes qui ont démontré leur habileté à résoudre les problèmes dans un domaine. Bien que l'on n'arrive pas à expliquer la totalité de leur savoir-faire, il apparaît que ces personnes ont une solide connaissance dé base et mettent en œuvre avec aisance les habiletés et les procédures propres au domaine (Glaser, 1984). Ainsi, le développement d'une bonne connaissance du contenu, solidement ancrée en mémoire et bien structurée, constitue une première étape, nécessaire, mais non suffisante. Cette connaissance du contenu peut être développée grâce aux procédures systématiques décrites ci-dessus.

D'autres chercheurs ont mis au point des procédures cognitives que les élèves peuvent utiliser au cours de l'apprentissage. Par exemple, on leur apprend comment se poser différents types de questions quand ils lisent ; questions portant sur les détails, les idées principales, questions de prédiction et de clarification (Palinscar, 1985) ; ou on leur enseigne à préciser ce sur quoi une question porte et à chercher si elle se trouve explicitement dans le texte, ou par raisonnement analogique, inférentiel... (Raphael, 1984). On peut aussi leur expliquer la structure d'un exposé : s'agit-il d'un schéma problème-solution, comparaison d'idées-synthèse ou règle-exemple (Cook et Meyer, 1984) ? Dans chacun des cas, les étudiants qui ont appris ces procédures font preuve d'un meilleur rendement en compréhension de lecture que ceux du groupe contrôle.

Tous ces exemples s'appliquent à des domaines peu structurés. Bien que ces procédures ne fassent pas appel, comme dans les matières fortement structurées, à des étapes explicites, elles fournissent cependant aux élèves un bon support d'apprentissage.

 

CONCLUSION

 

Les recherches actuelles sur l'enseignement des matières fortement structurées montrent qu'il est plus efficace d'enseigner d'une manière méthodique, en fournissant aux élèves un soutien à chaque étape de l'apprentissage initial. L'enseignant efficace commence par passer en revue les prérequis, met en relation la matière du jour avec les apprentissages antérieurs et aborde ensuite, par petites étapes, la nouvelle matière. Il alterne courtes présentations et questions. Après la présentation, le maître organise des exercices dirigés, jusqu'à ce que tous les élèves aient été contrôlés et aient reçu un feedback. Viennent ensuite les exercices individuels que l'on poursuit jusqu'à la maîtrise autonome du nouvel apprentissage par l'élève.

Les idées exposées ici ne sont pas neuves, mais elles sont maintenant validées par l'expérimentation menée dans des classes ordinaires avec des maîtres ordinaires, enseignant des matières ordinaires. Elles montrent que quand les enseignants modifient leurs pratiques dans le sens d'une plus grande systématicité, le rendement des élèves augmente, sans que cela se solde par l'apparition chez les élèves d'attitudes moins positives envers l'école ou eux-mêmes.


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[1] . N.D.L.T. : “Méthode d'enseignement systématique” : nous reprenons les termes utilisés par Rosenshine pour désigner cette forme d'enseignement traditionnel à caractère impositif que l'on appelle en anglais direct teaching. La méthode de Herbart relève de cette catégorie. L'emploi du terme “systématique” comporte toutefois un danger, celui de donner à penser que seul ce type d'enseignement possède un caractère systématique, ce qui n'est évidemment pas conforme à la réalité.

[2] . Les plus efficaces posent 25 % de questions sur les processus — expliquer comment un résultat a été obtenu —, les moins efficaces, 16 % seulement.

[3] . Le système d'observation de G. De Landsheere contient une catégorie analogue, le feedback positif spécifique.

 
 
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