Conférence - Réussite scolaire et réformes éducatives : Pourquoi est-il si difficile de rendre nos systèmes éducatifs plus performants ? Imprimer Envoyer
Pédagogie Explicite - Conférences
Écrit par Clermont Gauthier   
Lundi, 04 Février 2008 00:00

Conférence

Clermont Gauthier

Réussite scolaire et réformes éducatives :

Pourquoi est-il si difficile de rendre nos systèmes éducatifs plus performants ?

Minerva, 02.2008

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Introduction

Nous assistons actuellement au phénomène de la mondialisation des réformes éducatives. Dans la foulée des grandes études compara­tives internationales (PISA, TEIMS), dans celle des désirs des nations de se maintenir dans le peloton de tête ou encore de s’y hisser, les réformes des systèmes éducatifs abondent ces vingt dernières années tant au Nord qu’au Sud, à l’Ouest qu’à l’Est. Ces changements propo­sés par les états sont sans doute animés des meilleures intentions et on aurait tort d’y voir a priori des manœuvres machiavéliques. Supposons plutôt qu’elles sont habitées par le noble souci de la réussite de tous les élèves qui fréquentent l’école.

Ceci dit, dans le processus de discussion en vue de susciter l’adhésion à ces changements, les décideurs et partisans des réformes argumentent d’une manière semblable à celle que naguère, A. Kessler, dans son ouvrage classique publié en 1964 et intitulé La fonction édu­cative de l’école. École traditionnelle / école nouvelle, caractérisait de rhétorique. En effet, dans leur volonté d’alors de promouvoir la péda­gogie nouvelle, ses promoteurs firent une véritable caricature de la pé­dagogie traditionnelle, attribuant d’un côté à celle-ci tous les défauts qui étaient heureusement compensés de l’autre côté par les vertus de celle-là. De la mê­me façon, le processus d’élaboration d’une réforme éducative entraîne une critique de ce qui était en place pour mieux faire valoir les qualités du changement qui est proposé. Une des conséquences possibles de cette rhétorique manichéenne est de réduire jusqu’à la caricature ce qui se faisait et partant, d’engendrer de vives polémiques. C’est ce qui semble se produire dans le domaine de l’éducation en Europe francophone où les posi­tions de la gauche combattent celles de la droite, où les progressistes s’opposent aux conservateurs, où les disciplinaires attaquent ceux qu’ils qualifient péjorativement de “pédagogistes”. C’est ce qui s’est produit également au Québec où une réforme a été initiée en 2000 avec l’injonction de passer du paradigme de l’enseignement au paradig­me de l’apprentissage.

Dans ce contexte des réformes, il est extrêmement difficile, non seulement chez les partisans ou chez les détracteurs du changement, mais aussi chez quiconque s’intéresse à la question, de débattre à froid de ce qui est proposé. Une des raisons qui explique sans doute ce phénomène est que l’on confond souvent les fins et les moyens. On le sait, la question des finalités éducatives relève de l’opinion citoyenne et à cet égard, d’une cer­taine manière, toutes les opinions se valent. Chacun peut tenir à ses idées et camper obs­tinément sur ses choix sans qu’il soit possible de le faire changer d’avis. On peut débat­tre des finalités indéfiniment. Par contre, quand on propose des moyens spécifiques pour atteindre des finalités, le problème devient fort différent car la recherche et l’expertise sont alors convoquées. On peut en effet faire la preuve que certains moyens sont plus ef­ficaces que d’autres pour atteindre les finalités. C’est sur ce point précis que nous vou­lons faire valoir notre point de vue : les réformes ne sont pas toutes bien fondées sur le plan de la recherche ; elles ne font pas nécessairement la promotion des meilleurs moyens pour atteindre les fins estimées souhaitables. Notre intention est d’adopter ici une posture particulière qui ne va pas dans le sens de la polémique caricaturale de la gauche contre la droite, des conservateurs contre les progressistes ou encore des disci­plinaires contre les pédagogistes. Nous considérons ces débats contreproductifs et sans issues. On a vu par exemple la méthode globale en lecture associée à la gauche progres­siste et la méthode syllabique à la droite traditionnelle alors que ce n’est pas tant un pro­blème politique que d’efficacité de moyens pour apprendre à lire, que l’on soit de gauche ou de droite. Nous ne prendrons donc pas le parti des progressistes au sens où un dispositif nouveau n’entraîne pas forcément des résultats améliorés, ni non plus celui des traditionnalistes dans la mesure où les stratégies d’autrefois ne correspondent pas néces­sairement à un âge d’or de la pédagogie, c’est-à-dire aux meilleures pratiques jamais égalées. Sur le plan des effets sur l’apprentissage, l’ancien peut être nocif, le nouveau également.

Nous voulons donc prendre un autre angle d’attaque pour aborder la question des réformes. Nous aimerions adopter la difficile posture du chercheur, c’est-à-dire celle qui consiste à examiner patiemment l’efficacité des moyens qui y sont proposés. À cet égard, depuis une quarantaine d’années environ, beaucoup de recherches ont été condui­tes dans les classes et nous disposons maintenant de résultats qui semblent être assez ro­bustes pour nous permettre d’analyser rigoureusement l’efficacité des approches péda­gogiques proposées. Il convient de signaler que nous ne privilégions a priori aucune approche pédagogique particulière, nous voulons seulement examiner quels sont les ef­fets des approches pédagogiques sur les apprentissages des élèves lorsque ceux-ci sont mesurés. Nous voulons savoir s’il y a des résultats de recherches qui sont associés à des effets positifs sur l’apprentissage des élèves. Alors, formulée de différentes manières, notre question est la suivante : quelles sont les approches pédagogiques qui semblent fa­voriser davantage l’apprentissage des élèves? Ou encore, comment enseigne-t-on dans les écoles qui favorisent la réussite des élèves ? Autrement dit, quelle est la pédagogie au service de la réussite de tous les élèves ?

1. La pédagogie dautrefois

Pour répondre à cette question et aussi afin de mieux comprendre la nature et les enjeux des débats actuels, on nous autorisera un long détour afin de préciser nos concepts de pédagogie, de tradition pédagogique, de pédagogie traditionnelle et de pé­dagogie nouvelle. Ces précisions nous permettront de mieux saisir la différence entre, d’un côté, les approches pédagogiques traditionnelles et nouvelles et, de l’autre, les ap­proches qui semblent, d’après la recherche, donner les meilleurs résultats sans pour au­tant être assimilables à la pédagogie traditionnelle.

Examinons les deux images ci-dessous (Parias, 1981). Chacune représente une scène de classe du XVIIe siècle. Celle de gauche, une peinture de Van Ostade, évoque l’école de son temps. Celle de droite est une gravure qui montre une classe des Frères des écoles chrétiennes.

La peinture de Van Ostade illustre la classe d’un vieux maître d’école, l’air bourru, assis, la férule à la main. Face à lui, un jeune écolier, debout, le dos recourbé, l’air crain­tif et probablement anxieux de ce qui l’attend s’il ne récite par parfaitement ses leçons. On voit également un local qui ne ressemble en rien à l’école standard que l’on connaît aujourd’hui. Maintes fois au XVIIe siècle, les maîtres exerçaient d’autres métiers en sus de celui de faire l’école. Ils pouvaient enseigner dans le sous-sol de leur maison ou dans un local qui avait d’autres fonctions. On remarque également que le local est tenu dans un désordre impressionnant. Toutes sortes d’objets traînent par terre. Au fond de la salle, on voit un élève en train de sortir par la fenêtre. Sur la droite de l’image, on en voit un autre, un panier sur la tête, descendant l’escalier. Les élèves sont peu nombreux, une quinzaine en tout. Ils sont d’âges et de sexes différents. Les élèves s’occupent chacun de leur côté : certains vont jouer, d’autre semblent copier, lire, flâner, faire un peu n’importe quoi. Bref, c’est ce que l’on appelle l’enseignement au singulier, c’est-à-dire la manière d’enseigner la plus habituelle à cette époque : le maître fait venir à tour de rô­le un élève, lui demande de réciter ses leçons, le fait écrire, copier. C’est une pédagogie au singulier au sens où le maître reçoit chaque élève à tour de rôle. Ce maître d’école, évidemment, n’était pas formé : à cette époque quiconque savait lire pouvait enseigner la lecture. C’est pourquoi on parle d’un maître improvisé.

L’image de droite montre un changement radical de décor, si important en fait que l’on a l’impression de se situer à une tout autre époque. Mais pourtant elle date aussi du XVIIe siècle. Que s’est-il donc passé ? Comment se fait-il que, à peu près à la même pé­riode, on observe une organisation de la classe aussi différente ? Mon hypothèse : nous assistons à la naissance de la pédagogie. Dans l’image de droite nous voyons que le local est devenu un local spécialisé, ce qu’on appelle désormais une classe. Une classe, c’est un local qui n’a qu’un usage, celui qui sert exclusivement à l’enseignement. On se rend compte également que l’espace est contrôlé, c’est-à-dire que les bureaux sont alignés et les élèves placés en ordre, chacun a sa place. Le local est spécialisé au sens où on re­trouve dans cette classe-là, une mappemonde, comme il y en a à peu près dans toutes les classes primaires du monde, on retrouve aussi à gauche et à droite de la mappemonde, des images pieuses pour édifier ou mortifier les élèves. On voit également que tous les élèves ont un cahier ou un livre ouvert, probablement à la même page. Cela a été rendu possible parce que l’imprimerie a été inventée peu de temps auparavant et que l’on pou­vait utiliser le même livre pour tous les élèves. Pour la première fois apparaît dans les petites écoles, l’idée d’un enseignement simultané, car avec le même ouvrage, le maître peut enseigner à tout le monde en même temps. On remarque aussi qu’il y a trois profes­seurs. Les Frères des écoles chrétiennes, communauté enseignante, formaient leurs novi­ces à l’enseignement. Un de ces trois professeurs est sans doute un jeune enseignant su­pervisé par ses confrères plus expérimentés. Bref, au XVIIe siècle une série de changements vont s’opérer dans la manière de faire la classe. Ces changements, nous les définissons sous l’appellation de pédagogie. Pourquoi cela est-il arrivé à ce moment-là ? Il y a sans doute plusieurs raisons, examinons-en quatre.

La réforme protestante.

On se rappelle que Luther a critiqué l’Église de son temps qui était corrompue. Les membres du clergé n’étaient pas nécessairement des modèles de moralité. Luther s’en est pris notamment au commerce des indulgences qui donnait lieu à des interprétations abusives des Saintes Écritures par le clergé. Il conclut qu’au lieu de se fier à ces inter­médiaires peu crédibles, chaque individu devait désormais pouvoir interpréter lui-même les Écritures. Cette injonction a eu un impact considérable, au sens où, pour que chacun puisse interpréter les écritures, on devait créer des écoles et montrer à lire à la popula­tion. Donc, le protestantisme, avec Luther, a permis d’emmener les enfants du peuple à l’école et de créer des écoles.

La contre-réforme catholique.

Face au protestantisme qui commençait à gagner en popularité et à se répandre, les catholiques ne voulaient pas demeurer en reste. Ils cherchèrent à contrer cette avancée des protestants et créèrent notamment les fameux collèges des Jésuites. Les Jésuites, qu’on appelait les soldats de Jésus, avaient pour mission de combattre les protestants. La Contre-réforme catholique a donc amené des enfants à l’école et créé de nouvelles éco­les.

Un nouveau sentiment de lenfance.

On n’a pas toujours considéré les enfants de la même manière. Au XVIe siècle, par exemple, l’enfant était vu comme un jouet charmant. C’est la période du mignotage. L’enfant est mignon, charmant, amusant, agréable. Mais il n’est pas une préoccupation. Il est mêlé aux adultes et on ne s’en occupe pas de manière différente. Vers le XVIIe siè­cle, l’enfant est perçu autrement et on le voit désormais de façon négative. Dominé par ses passions, l’enfant est mauvais. Il doit plutôt se soumettre à la raison et adopter ainsi une conduite raisonnable. Il faut donc corriger l’enfance, rectifier cet âge de la vie. Cette rectification de l’enfance ne peut pas se faire dans la famille. Il faut donc sortir l’enfant de la famille et l’enfermer dans un lieu qu’on appelle école.

Problèmes de délinquance dans les villes.

Les villes, notamment en Europe, commençaient à croître en dimension. Une jeunesse errante et bruyante, faisant des mauvais coups et dérangeant les marchands commençait à poser problème. Pour y faire face, Charles Démia formula une idée géniale : « Ouvrir une école, cest fermer une prison ». Si on amenait à l’école cette jeunesse délinquante, oiseuse, qui faisait du bruit, qui dérangeait, on aurait sans doute plus de calme dans nos villes. Les problèmes de délinquance dans les villes ont donc stimulé, en quelque sorte, la création d’écoles.

L’effet conjugué de ces quatre facteurs (réforme protestante, contre-réforme catho­lique, nouveau sentiment de l’enfance et problème de délinquance dans les villes) a conduit, dans une courte période de temps, plus d’enfants à l’école et entraîné la création d’écoles. Un nouveau problème apparaît : la seule pédagogie qui existait jusqu’alors était l’enseignement au singulier. Or, s’il y a plus d’enfants à l’école et si le seul mode connu d’enseignement est l’enseignement au singulier, on aura vite fait de créer des pro­blèmes dans les classes. L’enseignement au singulier peut aller avec des effectifs de cinq, six, sept, dix élèves, mais ce procédé ne va plus lorsqu’on a une centaine d’enfants dans une classe. Ce fut le cas notamment à Paris où un pédagogue de l’époque qui s’appelait Jacques de Batencour, mentionnait dans son ouvrage les problèmes qu’il avait dans sa classe. On ne peut pas avec cent élèves les faire venir à tour de rôle. C’est donc l’augmentation du nombre d’élèves et les problèmes d’enseignement qui en découlent qui obligent les maîtres à créer, à inventer une solution pour y faire face. Cette solution, nous l’appelons la pédagogie.

1.1. Définition de la pédagogie

La pédagogie est un discours et une pratique d’ordre pour instruire et éduquer des collectifs d’élèves. Il faut éviter le désordre comme on le voit dans le tableau de Van Os-tade et mettre en place l’ordre. Plusieurs traités pédagogiques ont été écrits au XVIIe siè­cle, tant chez les catholiques que chez les protestants, par des maîtres de métier, des en­seignants sur le terrain qui décrivent comment on doit désormais enseigner pour lutter contre le désordre et faire en sorte qu’on ait un enseignement organisé avec le collectif d’élèves. Le discours pédagogique se met en place à partir du moment où le nombre d’élèves croît. Donc, quand nous disons que la pédagogie est un discours et une pratique d’ordre, nous voulons dire un discours et une pratique d’ordre pour gérer un collectif. Sans collectif d’élèves il n’y a pas de nécessité d’inventer la pédagogie. Ce n’est cepen­dant pas encore l’enseignement de masse qui viendra au XIXe siècle à la suite de l’instauration des lois sur l’enseignement obligatoire et la gratuité scolaire, mais au XVIIe siècle il y a tout de même suffisamment d’élèves pour faire en sorte qu’on soit obligé de modifier notre manière d’enseigner.

Pour le redire autrement, qu’est-ce que la pédagogie ? C’est une méthode qui ap­pelle un fonctionnement ordonné. Et quand on lit les traités de pédagogie, on se rend compte que c’est un ordre présent dans toutes les facettes de la vie de la classe : tout est contrôlé, tout est minuté, organisé. Par exemple, on contrôle le temps. Dans les traités pédagogiques du XVIIe, le temps est soigneusement découpé du matin au soir. Toute la journée est minutieusement divisée en parcelles de trois ou quatre minutes. Un contrôle de l’espace également : les bureaux sont bien alignés. Il n’y a pas d’espaces laissés au hasard ; chaque enfant à une place précise qui lui est attribuée. Contrôle des déplace­ments qui se faisait par les rangs et à l’aide d’un signal. Le contrôle des postures égale­ment se faisait par l’établissement d’un code précis : pour tenir sa plume, pour s’asseoir, pour prier. On contrôlait également les récompenses et les punitions qui sont rationali­sées, c’est-à-dire établies selon un ordre gradué. Enfin, il y a le contrôle des savoirs qui sont minutieusement décortiqués, du plus simple au plus complexe. Notre hypothèse de la naissance de la pédagogie au XVIIe ne signifie cependant pas que tous les dispositifs ont été créés à cette époque. Au contraire, elle exprime plutôt l’idée qu’un ensemble de dispositifs, dont certains existaient sans doute auparavant, ont été regroupés de manière systématique dans la visée d’instruire et d’éduquer des collectifs d’élèves plus nom­breux. La pédagogie qui se met en place à cette époque est un véritable système dont l’agencement des éléments contrôle toutes les facettes de la vie de la classe.

1.2. La tradition pédagogique et le débat pédagogie traditionnelle/pédagogie nouvelle

Par la suite, graduellement, au cours des siècles suivants jusqu’à nos jours, s’est constituée une véritable tradition pédagogique, c’est-à-dire la répétition d’une manière commune d’enseigner. La formation des enseignants, qui n’existait pas avant cette pé­riode, est un élément important à la base de la création de cette tradition pédagogique. C’est par le biais notamment des communautés religieuses, Frères des écoles chrétien­nes, Jésuites, communautés enseignantes féminines, qu’une manière assez uniforme d’enseigner va se propager. Cette façon d’enseigner apparue en Europe va s’étendre par la suite partout sur la planète.

Mais une tradition pédagogique comporte aussi des erreurs et des excès. Avec le temps, un certain nombre de critiques ont été formulées à l’endroit de cette tradition. Par exemple, le fait d’enseigner la lecture avant l’écriture et non simultanément, le fait d’apprendre le latin avant le français, ou encore l’autoritarisme du maître et les violences faites aux enfants, etc. La critique fut particulièrement virulente au XXe siècle. On pense entre autres à Freinet, à Montessori, à Neill, à Freire, à Skinner et à bien d’autres qui ont fustigé et remis en question les prescriptions pédagogiques issues de la tradition. Tous, malgré leurs différences importantes, partageaient le même ennemi : la pédagogie tradi­tionnelle. Il y a eu comme un renversement des termes, la tradition pédagogique s’est transmuée en pédagogie traditionnelle, avec toute la connotation péjorative que revêt maintenant cette expression.

Cette charge contre leur ennemi commun a permis à nombre d’auteurs de faire va­loir leur position. En proposant leurs nouvelles pédagogies ils vont s’opposer presque terme à terme aux façons de faire de l’ancienne pédagogie dont les composantes sont présentées comme mauvaises. Par un intéressant phénomène de rhétorique, les vertus se retrouvent du côté de la pédagogie nouvelle, et les défauts sont regroupés du côté de la pédagogie traditionnelle. Par exemple, alors que les Jésuites affirmaient dans leur Ratio dicendi et docendi (Jouvency, 1892) que « lesprit de lenfant est comme un vase d’étroite embouchure », la critique de la pédagogie nouvelle a tordu cette idée qui est devenue « lesprit denfant est comme une cruche à remplir ». Un vase d’étroite embou­chure et une cruche à remplir ne renvoient pas aux mêmes réalités ! Alors que la premiè­re se fonde sur le discernement, la seconde nie toute forme de jugement du maître. Par ailleurs, les partisans de la pédagogie nouvelle avaient tout à fait raison de dire qu’il faut prendre en compte les besoins et intérêts de l’enfant. Cependant, leurs critiques les accu­sent de valoriser l’enfant-roi, l’enfant capricieux, auquel l’adulte doit se soumettre cons­tamment, ce qui est tout autre chose.

Mon but ici, après ce grand détour, n’est pas de faire l’apologie de la pédagogie traditionnelle ni de la pédagogie nouvelle. Il fallait préciser comment la pédagogie s’est constituée en tradition et comment la pédagogie nouvelle s’est substituée à la pédagogie traditionnelle par des procédés de rhétorique manichéenne.

La situation actuelle de nos réformes fonctionne de la même manière que la lutte opposant la pédagogie nouvelle à la pédagogie traditionnelle. Tout comme la critique de la pédagogie nouvelle était manichéenne et exagérée, les débats sur les réformes donnent lieux aux mêmes abus qu’autrefois. C’est pourquoi nous pensons que le débat est mal engagé actuellement, voire pollué. Il faut reprendre l’analyse sur d’autres bases. Nous proposons d’utiliser la recherche en enseignement comme base de réflexion.

2. Recherches sur lenseignement et les écoles efficaces

Des chercheurs comme Coleman, Bourdieu, Passeron, Baudelot, Establet, ont mis en évidence au cours des années 1960 que tout semblait se jouer en dehors de l’école, c’est-à-dire que le milieu familial et social semblait être le premier facteur de réussite ou d’échec scolaire des élèves. Malgré la grande pertinence de ces travaux, il reste qu’ils occultent la part importante qui revient aux enseignants et aux écoles dont ils ignoraient la dynamique. À cet égard, un nombre impressionnant de recherches ont par la suite été conduites dans les classes à partir des années 1970 principalement dans les milieux an­glo-saxons. Ces travaux tentent de mettre en relation ce que fait et pense l’enseignant et la réussite scolaire de ses élèves. Les chercheurs vont dans les classes situées dans diffé­rents milieux socio-économiques, ils observent systématiquement les façons de faire d’enseignants débutants, expérimentés, experts. Bref, en étant à l’intérieur de la classe et de l’école, et non à l’extérieur comme dans les études des années 1960, ils ont pu mieux cerner ce que les enseignants font, comment ils raisonnent et mettre cela en lien avec la réussite scolaire des élèves.

Ils se sont rendu compte que l’enseignant fait une différence, au sens où l’enseignant est un facteur important dans la réussite ou même dans l’échec scolaire des élèves. Il y a un effet enseignant qui a été documenté et il y a aussi un effet école, au sens où, à milieux socio-économiques semblables, des variations s’observent dans la manière d’enseigner et dans la réussite scolaire des élèves. Donc, à milieux socio-économiques semblables, il y a des variations dans la réussite scolaire des élèves de cer­taines écoles. Dans certaines écoles de milieux socio-économiques faibles, les élèves réussissent mieux et, inversement, dans des milieux socio-économiques élevés, on retrou­ve des écoles où les élèves réussissent moins bien qu’ils le devraient.

Pourquoi en est-il ainsi ? Nous pensons que l’enseignement peut expliquer cette différence de réussite. Notre thèse est la suivante : à la lumière des nombreuses recher­ches empiriques que nous avons pu examiner, force est de reconnaître que les approches que nous qualifions d’“instructionnistes” (où le maître fait apprendre systématiquement des contenus scolaires) ont une efficacité supérieure à celles centrées sur la découverte. Étayons cette thèse par un survol de plusieurs études.

2.1. Le projet Follow Through

Le projet Follow Through a été initié aux États-Unis en 1968 et s’est terminé en 1995. Au départ, ce projet devait être une suite du programme Head Start qui visait à fournir des services sociaux, de santé et d’éducation aux enfants de ni­veau préscolaire de milieux défavorisés ainsi qu’à leur famille. Le programme Head Start voulait briser le cycle de la pauvreté et fut très bien reçu dans la po­pulation. Cependant, une étude avait montré que les gains des enfants avaient tendance à disparaître à leur entrée à l’école. Follow Through fut d’abord pensé comme un service qui prendrait le relais de Head Start. Mais des coupures budgé­taires ont obligé dès le départ à reconceptualiser le projet qui a été transformé en une étude longitudinale dont le but fut d’évaluer l’efficacité d’approches pédagogiques au­près d’élèves venant de quartiers défavorisés de la maternelle à la troisième année. Cette recherche a impliqué chaque année environ 10 000 élèves de 120 communautés entre 1968 et 1976. Par la suite le programme a continué jusqu’en 1995 sous la forme de ser­vices (Watkins, 1997).

On a demandé aux promoteurs de différentes approches pédagogiques d’implanter leur approche dans des écoles, de fournir le matériel pédagogique et de former les ensei­gnants. À ces écoles expérimentales on couplait d’autres écoles qui servaient de groupe contrôle. La performance scolaire des élèves a été évaluée sur les apprentissages de base (la lecture, l’écriture et le calcul), les habiletés intellectuelles, notamment la résolution de problème et enfin, les dimensions plus affectives c’est-à-dire l’image et l’estime de soi. Les instruments ont fait l’objet d’un consensus entre les promoteurs. La figure qui suit donne un aperçu des résultats.

La figure 3 montre neuf approches pédagogiques qui ont été comparées sur les plans des habiletés de base, intellectuelles et des dimensions affectives. Ces approches pédagogiques ont été regroupées en trois grandes catégories selon qu’elles se centrent davantage sur les habiletés de base, les habiletés intellectuelles plus complexes ou les dimensions affectives. La ligne horizontale marquée du zéro traversant le tableau de gauche à droite, représente le groupe contrôle, c’est-à-dire les classes qui n’ont pas fait l’objet d’un enseignement particulier et qui servaient d’étalon de comparaison.

Les résultats sont pour le moins spectaculaires. Dans la colonne de gauche, on re­marque la performance du modèle du Direct Instruction. Cette approche pédagogique se caractérise par un curriculum très structuré et minutieusement organisé en séquences et des stratégies pédagogiques mettant de l’avant un apprentissage procédant du simple au complexe. Le modèle pédagogique du Direct Instruction est associé aux meilleurs effets, tant sur le plan des apprentissages de base des habiletés cognitives que sur celui des di­mensions socio-affectives. Par contre, d’autres modèles, par exemple à l’extrême droite du tableau, celui du Open Education ont des résultats très faibles tant sur le plan des ap­prentissages de base, des habiletés cognitives et, paradoxalement, même sur les dimen­sions affectives dont c’était pourtant l’axe privilégié. Au contraire, le Direct Instruction, dont les visées ne sont pas d’abord affectives a donné les meilleures cotes affectives de l’ensemble des modèles ! Comment expliquer cela ? On avance l’idée que l’image de soi ne s’améliore pas tellement en travaillant directement sur elle mais plutôt quand les élè­ves réussissent. La réussite scolaire, telle qu’elle se manifeste dans ce modèle, entraîne­rait en quelque sorte, une amélioration de l’image et de l’estime de soi des élèves.

On nous objectera qu’il ne s’agit que d’une seule étude, conduite dans les années 1970, et qu’il faudrait avoir des recherches plus récentes. Il est vrai que s’il n’y avait qu’une seule étude, ce serait insuffisant. Mais ce n’est pas le cas. Plusieurs autres études ont confirmé l’efficacité du Direct Instruction. Par exemple, le Wisconsin Policy Re­search Institute a examiné vingt années de recherches sur le Direct Instruction et confirme l’efficacité de ce modèle. Herman et al. dans leur analyse de vingt approches pédagogiques en 1999 confirme aussi l’efficacité du Direct Instruction. En 2003, Bor-man a analysé 232 recherches, a comparé 29 modèles pédagogiques et a conclu que les approches pédagogiques qui semblent associées à la meilleure performance des élèves sont, dans l’ordre : d’abord le Direct instruction et en deuxième place, le programme Success for All de Robert Slavin. Succes for All est une approche pédagogique qui, en plus d’être très structurée, met aussi de l’avant l’approche coopérative avec les élèves et des liens avec les parents. Plusieurs autres méta-analyses vont également dans le sens de l’efficacité plus grande d’un enseignement structuré, un enseignement explicite, plutôt qu’un enseignement par découverte. Par exemple : le National Reading Panel, dans son imposante synthèse sur la lecture publiée en l’an 2000, souligne que les élèves apprennent mieux par des méthodes plus analytiques et systématiques que par des méthodes globales. La synthèse de recherches de Baker, Gersten et Lee (2002) en mathématiques de même que celle de Gersten et Baker (2001) sur l’écriture vont dans le même sens. La synthèse de recherches regroupant pas moins de 180 études sur les élèves du primaire en difficulté de Swanson & Hoskyn (1998) de même que celle de Swanson (2001) portant sur les élèves du secondaire en difficulté en arrivent aussi aux mêmes conclusions. Ces résultats nous amènent à penser que l’efficacité des approches instructionnistes ne peut être interprétée comme un phénomène isolé mais plutôt comme une véritable tendance lourde en enseignement.

2.2. Caractéristiques dun enseignement efficace (explicite, direct, structuré, actif)

Ce bref survol des recherches nous conduit à soutenir l’idée qu’un ensei­gnement systématique, structuré, explicite, procédant du simple au complexe est nettement plus efficace qu’un enseignement par découverte pour assurer la réussite scolaire des élèves. Cependant, quand on parle de modèles « instruc-tionnistes » on indique que, malgré leur différences (Direct Instruction, Success for All, enseignement explicite, etc.) ces différentes approches mettent de l’avant des stratégies semblables qui ressemblent, grosso modo, à ce que Rosenshine et Ste-vens (1986) appellent un « modèle général d’enseignement efficace ».Ces auteurs ont regroupé plusieurs éléments issus de recherches empiriques et ont identifié six bali­ses que devraient prendre en compte les enseignants : 1- la révision; 2- la présentation, c’est-à-dire la façon de présenter les contenus; 3- la pratique guidée; 4- la correction et le feedback; 5- la pratique autonome; et enfin, 6-les révisions hebdomadaires et mensuel­les.

La révision

Tout enseignant qui donne des devoirs à ses élèves mais ne les corrige pas ou n’y retravaille pas par la suite en classe s’expose à voir cette activité perdre de l’intérêt aux yeux de ses élèves. Tôt ou tard ces derniers ne les feront pas ou n’y mettront pas tous les efforts nécessaires. Cette stratégie perdra de son effet alors qu’elle aurait pu être très uti­le pour atteindre un niveau d’automatisation plus élevé dans l’apprentissage de certaines habiletés. De la même façon, le maître ne donne pas en devoir des contenus que les élè­ves ne savent pas réaliser avec suffisamment de succès. Il faut donner comme devoir des éléments de contenu que les élèves savent pour augmenter la fluidité de la pratique.

Quand, dans une leçon, l’enseignant veut introduire un nouvel élément de contenu, il faut évidemment qu’il revoie les savoirs et habiletés préalables nécessaires à l’apprentissage de ces nouveaux contenus. Ce rappel des connaissances antérieures est important car il réactive la mémoire et rend disponibles les éléments de savoirs dont les élèves auront besoin pour le nouvel enseignement qui sera fait.

La présentation

L’enseignant qui présente un contenu nouveau énonce clairement les objectifs de sa leçon. Il peut présenter un bref résumé de ce qui sera vu. Il peut aussi mo­deler les procédures, c’est-à-dire exécuter la tâche devant les élèves et alors « penser à haute voix ». Il présente le contenu par petites étapes, du simple au complexe afin de bien contrôler le niveau de difficulté de la tâche. Débuter par la complexité rend la tâche d’apprendre beaucoup plus difficile pour l’élève alors que si l’enseignant contrôle la difficulté de ce qui est présenté, il s’assure d’une plus grande réussite. Par exemple, dans sa présentation d’un concept, l’enseignant fournit des exemples et aussi des contre-exemples. Le contre-exemple permet de renforcer la compréhension d’une définition. L’enseignant vérifie constamment la compréhension des élèves par des questions. Le maître, dans un enseignement explicite, direct ou structuré, est un maître qui question­ne, qui constamment va aller chercher de l’information à propos de la compré­hension de ses élèves. C’est pour cela qu’on a tort de dire parfois que, dans une telle approche, l’élève est passif. Au contraire, il est constamment sollicité et l’enseignant est toujours à l’affût de découvrir comment les élèves réagissent au contenu présenté. Plusieurs études indiquent également que l’enseignant doit éviter le plus possible les digressions. Le maître qui garde le focus et est centré sur la tâche semble favoriser davantage la réussite scolaire des élèves que celui qui fait constamment des parenthèses, du coq à l’âne et finalement perd le momentum de son activité. Les problèmes de comportement des élèves ont plus de chance d’émerger quand ils ne sont pas au travail.

La pratique guidée

La pratique guidée est une stratégie pédagogique essentielle et, malheu­reusement, plusieurs enseignants n’y accordent généralement pas suffisamment de temps. Une fois qu’il a présenté la tâche à réaliser, une fois qu’il a modelé ce qu’il y avait à faire devant les élèves, l’enseignant les met au travail. À ce mo­ment-là, plutôt que de demeurer à son bureau, il circule à travers les allées et va voir comment les élèves réagissent à la tâche demandée, et ce, afin de saisir de quelle façon le message envoyé a été compris. Cette étape est favorisée par le travail d’équipe qui permet aux élèves de vérifier leur compréhension en échangeant des idées entre eux. Trop souvent, on pense que ce qu’on a dit a été retenu tel qu’énoncé. Or, il y a un monde de différence entre ce que l’enseignant présente et ce que les élèves retien­nent. C’est en circulant dans les allées lors de l’étape de la pratique guidée que l’enseignant va pouvoir déceler le niveau de compréhension des élèves, la quantité et le type d’erreurs qu’ils font, si l’incompréhension est limitée à quelques élèves ou générali­sée à la moitié de la classe. Dans ce cas, il arrête tout et reprend la leçon pour éviter que l’erreur s’incruste dans la tête des élèves. Une erreur cristallisée demande beaucoup plus de temps avant d’être corrigée. Alors il vaut mieux détecter les erreurs le plus tôt possi­ble afin de sauver du temps précieux.

Outre le fait d’interroger fréquemment les élèves, il est important également de leur donner des clés de compréhension (procedural prompts). L’ouvrage de Pressley et Woloshyn (1995) intitulé Cognitive strategies instruction that really improves childrens academic performance présente une série de stratégies validées par la recherche pour ai­der les élèves à réaliser des tâches demandées. Par exemple, pour aider les élèves à com­parer telle chose à telle autre, l’enseignant leur présente une feuille pour faciliter la com­paraison : deux colonnes, des paramètres de comparaison. Ce genre de clés ou procedural prompts guide l’élève et rend plus aisée sa compréhension et sa réalisation de la tâche à exécuter. À l’étape de la pratique guidée, il faut susciter des réponses de tous les élèves et continuer la pratique jusqu’à l’obtention d’un haut taux de succès (80%). Au besoin, donner des explications additionnelles et poursuivre jusqu’à l’atteinte de la fluidité.

La rétroaction

L’importance de la rétroaction est reconnue depuis longtemps. L’enseignant peut donner de la rétroaction au fur et à mesure quand les réponses sont correctes mais encore hésitantes. Il peut donner une rétroaction plus soutenue, et même ré-enseigner quand les réponses des élèves sont erronées. Il peut aussi fournir aux élèves des listes d’auto-vérification pour qu’ils assurent par eux-mêmes le suivi de leurs apprentissages.

Les recherches parlent aussi d’un usage modéré des renforcements au sens où vient un moment où trop renforcer, trop féliciter, n’a plus d’effet et peut même engen­drer des effets négatifs. Les effets du renforcement peuvent se distribuer comme sur une courbe en U inversé sur laquelle il y a au départ une amélioration de la performance puis ensuite un déclin.

La pratique autonome

À un moment donné, il faut que les élèves soient capables de faire de manière au­tonome. Il est donc important que les élèves s’exercent suffisamment pour arriver à un niveau assez important de réussite. L’enseignant, lors de la pratique autonome, observe constamment la performance des élèves pour être bien certain que des erreurs ne soient pas intériorisées et généralisées. Il faut donc donner au début un aperçu de la tâche à exécuter et du soutien. Ensuite les élèves pratiquent (quand cela est pertinent) jusqu’à l’automatisation, soit un taux de 95 % de réussite. L’enseignant supervise la pratique au­tonome et souligne que le travail sera corrigé. Il utilise également des routines pour sou­tenir les étudiants plus lents.

Les révisions hebdomadaires et mensuelles

Il est important de réviser fréquemment ce qui a été enseigné, de ré-enseigner ce qui n’a pas été maîtrisé. La question du transfert est discutée abondamment depuis quelques années. Il est important de retenir qu’il n’y a de transfert possible que si les connaissances ont été acquises et retenues. Acquises signifie bien comprises et retenues veut dire qu’elles ont été suffisamment pratiquées pour être prêtes à être mobilisées lors­que requises. La révision systématique de ce qui a été enseigné, des tests fréquents, le ré­enseignement au besoin de ce qui n’est pas maîtrisé dans les tests faciliteront tant l’acquisition que la rétention et rendront possible le transfert.

2.3. Faiblesses dun enseignement traditionnel et par découverte

Faiblesses dun enseignement traditionnel

Il faut bien comprendre que le modèle de Rosenshine et Stevens (1986) n’est pas assimilable à de l’enseignement traditionnel. La confusion est malheureusement fré­quente. L’enseignement traditionnel comporte un certain nombre de faiblesses qu’il faut dénoncer. Examinons-les à partir du modèle en six points de Rosenshine et Stevens.

Dans l’enseignement traditionnel, on fait peu de rappel des connaissances anté­rieures. Les buts sont peu clairs, on ne modèle pas suffisamment. On n’accorde pas non plus assez de temps à la pratique guidée. L’enseignant expose puis met les élèves au tra­vail en pratique autonome. L’erreur a donc le temps de se cristalliser dans l’esprit de l’élève. La rétroaction est insuffisante et, lorsqu’elle est donnée, elle vient trop tard. Et quand, au terme de l’évaluation, l’enseignant constate que la performance des élèves est mauvaise, il en attribue la cause à l’élève. Dans cette vision, l’échec est la faute de l’enfant et non celle de l’enseignant qui enseignait pourtant mal, qui ne faisait pas suffi­samment de pratique guidée, qui n’avait pas rappelé les connaissances antérieures, qui n’avait pas énoncé ses buts de manière claire.

Faiblesses dun enseignement par découverte

L’enseignement par découverte qui prend souvent la forme de projet est une idée intéressante animée d’une bonne intention. Pourtant, une stratégie de découverte mise de l’avant trop tôt, ou encore trop rapidement, surtout quand l’élève n’a pas encore acquis ni retenu suffisamment les éléments de savoir, risque de devenir un échec péda­gogique important.

Dans un enseignement par découverte, on ne s’assure pas toujours suffisamment de la compréhension et de la maîtrise des savoirs préalables. La plupart du temps, dans une pédagogie par découverte, le maître ne débute pas selon une séquence du simple au complexe, mais plutôt immédiatement à partir de tâches complexes. Étant donné que dans les projets il n’y a pas de contrôle du niveau de difficulté de la tâche, les élèves ne réussiront pas nécessairement à faire ce que l’enseignant voulait qu’ils fassent. L’intérêt du constructivisme dans la pratique guidée a été d’aller chercher le niveau de compré­hension des élèves, de le questionner beaucoup. Cela est une contribution majeure à la compréhension du phénomène de l’apprentissage. Cependant, on ne met pas suffisam­ment l’accent sur l’importance de la pratique dans les approches par découverte. Il y a une tendance à l’éparpillement et au survol même si les élèves aiment faire des projets. Pourtant le critère de réussite ne doit pas être d’abord le plaisir des élèves mais plutôt s’ils apprennent ce qu’ils doivent apprendre. Que les élèves aient du plaisir est un effet latéral positif, mais cela ne peut constituer la mission première de l’école. Plusieurs ont l’impression, voire des croyances fortes et bien ancrées, que l’enseignement par décou­verte et la pédagogie de projets sont les bonnes stratégies pour faire apprendre les élèves. Ils ne peuvent remettre en question cette idée que peut-être ces dispositifs ne sont pas aussi efficaces qu’ils le pensent ni associés à un meilleur apprentissage des élèves. Lors­qu’il y a des échecs, plutôt que de remettre en question la stratégie déployée, on invo­quera le ratio maître-élèves trop élevé, le manque de matériel ou de temps et on rejettera souvent le blâme sur les enseignants qui n’ont pas été suffisamment formés.

 

Tableau 1 : Faiblesses de l’enseignement traditionnel et de l’enseignement par découverte

 

Faiblesses de lenseignement tra­ditionnel

Faiblesses de lenseignement par découverte

Révision

Peu de rappel des connaissances an­térieures

On ne s’assure pas suffisamment de la compréhension et de la maîtrise des savoirs préalables

Présentation

Buts peu clairs, peu de modelage

Pas du simple au complexe (tâches complexes).
Peu de contrôle de la difficulté de la tâche dans les projets

Pratique guidée

Peu de temps accordé à pratique guidée et beaucoup à l’exposé. Présupposé : les élèves retiennent ce qui a été dit tel quel

Bonne recherche de la compréhen­sion de l’élève, mais peu de pratique soutenue ; tendance à l’éparpillement et au survol

Rétroaction

Peu de rétroaction ou trop tard ; cristallisation des erreurs

Peu de rétroaction immédiate, cristal­lisation des erreurs

Pratique autonome

Peut y avoir beaucoup de pratique, mais erreurs installées parce qu’il n’y a pas assez eu de pratique gui­dée

Tendance au survol des contenus, pas jusqu’à la maîtrise et l’automatisation

Révisions hebdomadaires et mensuelles

Beaucoup de tests

Variable

Échec

La faute de l’enfant.

Défaut d’implantation, trop d’élèves, pas assez de moyens, ni de temps pour que cela donne de bons résultats

 

2.4. Études sur les écoles efficaces

Le champ des études sur les écoles efficaces est un domaine de recherche qui, curieusement, s’est développé en parallèle aux études sur l’enseignement efficace com­me si les résultats dans un secteur n’étaient pas parvenus à influencer les méthodes et les résultats de l’autre. C’est ainsi que, au fil des ans, les études sur les écoles efficaces ont produit des résultats qui revenaient presque toujours au même d’une étude à l’autre. Les facteurs communs et prédominants des écoles efficaces qui reviennent sans cesse sont les suivants : 1- un leadership fort de la direction de l’école ; 2- des attentes élevées à l’endroit de la performance scolaire de tous les élèves ; 3- un climat ordonné et respec­tueux ; 4- une priorité accordée aux matières de base ; 5- un suivi (monitoring) des pro­grès des élèves.

Les études de Teddlie ont permis de faire une brèche dans ce qui semblait devenir un cercle vicieux (Teddlie & Reynolds, 2000). Plutôt que se limiter à examiner des caractéristiques extérieures aux classes des écoles efficaces, ce chercheur et ses collabora­teurs ont choisi d’examiner les pratiques d’enseignement en classe dans des écoles effi­caces et peu efficaces. À partir d’un outil d’observation élaboré en prenant appui sur les travaux de Rosenshine, ces chercheurs ont observé les pratiques en classe et constaté que les pratiques pédagogiques des écoles efficaces étaient différentes de celles des écoles inefficaces. Leurs travaux ont révélé que les écoles efficaces ont recours à un enseigne­ment structuré et explicite.

Par ailleurs, dans leur importante étude dans le cadre du projet International School Effectiveness Research, Reynolds et ses collaborateurs (2002) ont comparé des écoles de neuf pays en utilisant des outils à la fois quantitatifs et qualitatifs. Ils ont re­marqué que dans les écoles efficaces des différents pays les maîtres enseignaient de ma­nière semblable et que cet enseignement était structuré, systématique et renvoyait à des pratiques identifiées à l’enseignement efficace. Pour eux, il existerait des facteurs “universaux” associés à l’efficacité des écoles qui traverseraient les différences contextuelles propres à chacun des pays. Il s’agit là d’un gros pavé dans la mare des “situationnistes”.

Conclusion

Nous ne sommes pas partisans d’une approche pédagogique en particulier. Quelle que soit la nature de ce qui est proposé, ce qui nous intéresse est d’examiner si une base de recherche existe et si les effets de ces approches ont été mesurés. Nous considérons, d’après les nombreuses études consultées, qu’un enseignement structuré présente plus de potentiel qu’un enseignement par découverte comme approche pédagogique de base pour assurer tant la réussite des élèves d’une classe que celle de toute une école, et ce, particulièrement pour les milieux défavorisés. C’est en cela que la recherche en ensei­gnement peut aider à rendre l’école plus démocratique.

Pourtant, et paradoxalement, les réformes éducatives actuelles proposent plutôt un enseignement par découverte. Par exemple, au Québec, au début de la réforme, les pro­moteurs disaient qu’il fallait passer du paradigme de l’enseignement au paradigme de l’apprentissage comme si on avait fait une percée pédagogique majeure. Comment peut-on justifier des virages pédagogiques radicaux avec si peu de preuves empiriques ?

Comment peut-on prétendre faire réussir le plus grand nombre alors que l’on sait déjà que bon nombre d’élèves, et sans doute plus qu’avant, seront confrontés à l’échec ?

Il faut sans doute chercher les raisons de ces choix dans la prise de contrôle de nos systèmes éducatifs par la rectitude pédagogique d’un establishment pédagogique initié par des politiciens en quête de reconnaissance, dominé par des fonctionnaires attirés par les modes et alimentés par des universitaires en sciences de l’éducation qui se nourris­sent davantage d’essais que de recherches rigoureuses.

 

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