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Le débat - Système éducatif
Écrit par Françoise et Bernard Appy   
Lundi, 28 Avril 2008 00:00

La liberté pédagogique

 

Liberté pédagogique
Affichette des constructivistes (octobre 2006)

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1.     Définition

C’est la liberté conférée à l’enseignant de choisir les moyens, outils et méthodes qu’il veut pour atteindre, par sa pratique pédagogique, les objectifs qui lui sont demandés par les textes officiels. La pédagogie se définit comme l’ensemble des théories et des pratiques permettant un fonctionnement ordonné dès lors que l’on s’adresse à un collectif d’élèves ; elle comprend la gestion des matières et celle de la classe.

La liberté pédagogique est une spécificité française ; dans beaucoup de pays, l’enseignant ne peut choisir ni ses manuels, ni ses méthodes.

C’est la première fois depuis 1969 que cette expression apparaît dans des programmes officiels.

Qui dit liberté dit libre choix, et dit limites. Le choix, pour être librement fait, implique une connaissance, en l’occurrence une connaissance des méthodes pédagogiques et des différentes familles qu’elles constituent. Les connaître ne se limite pas à une approche historique mais aussi à une connaissance des études et expériences dont elles ont fait l’objet, de leur impact sur les apprentissages. Toute liberté s’exprime dans un cadre de responsabilité et d’approche professionnelle. Elle ne consiste pas à choisir selon son bon vouloir ou son humeur une méthode de manière aléatoire, mais une méthode en fonction des buts à atteindre. Jouir de la liberté pédagogique ne signifie pas que l’on n’ait pas de comptes à rendre.

 

2.  Qu’en a-t-il été jusqu’à maintenant ?

« La liberté pédagogique de l'enseignant s'exerce dans le respect des programmes et des instructions du ministre de l'éducation nationale et dans le cadre du projet d'école ou d'établissement avec le conseil et sous le contrôle des membres des corps d'inspection. » (Loi Fillon, 2005)

Par ailleurs, il est dit dans le code de la fonction publique que « Tout fonctionnaire, quel que soit son rang dans la hiérarchie, est responsable de l'exécution des tâches qui lui sont confiées. Il doit se conformer aux instructions de son supérieur hiérarchique… »

Cela signifie clairement que les limites de cette liberté restent celles fixées par la hiérarchie administrative, à savoir les IEN [1].

En décembre 2005, Gilles de Robien déclarait que « la liberté pédagogique n’est pas la liberté de faire n’importe quoi. », ajoutant en janvier 2006 : « La liberté pédagogique s’arrête où commence le danger pour les enfants. »

Ces deux déclarations ont le défaut de ne fixer aucune limite. En quoi consisterait “faire n’importe quoi”, comment qualifier “le danger pour les enfants ?”, qui serait apte à le qualifier ? Par exemple, pour certains, utiliser une méthode dite “naturelle” de lecture, non alphabétique, sera forcément un bienfait pour les enfants et ils le justifieront par un discours bien rôdé ; pour d’autres ce sera une méthode néfaste, source de graves problèmes scolaires. Le “danger pour les enfants” est une notion à manipuler avec des pincettes tant que l’on ne s’appuie pas sur des enquêtes et études sérieuses pour le prouver. Cela n’empêche pas néanmoins les uns et les autres d’en user et abuser.

Suite à la circulaire sur la lecture du même ministre, une cinquantaine de sites constructivistes de l’enseignement primaire ont lancé le 18 octobre 2006 une grève virtuelle avec un “Avis de décès de la liberté pédagogique”. Cette circulaire avait le tort de permettre enfin les méthodes d’apprentissage phono-alphabétiques. Dans d’autres circonstances, on aurait pu en rire : ceux-là mêmes qui n’ont jamais toléré d’autre méthode que la méthode mixte à départ global, qui ont ostracisé ceux qui ne pensaient pas comme eux pendant des années, montaient au créneau car ils se sentaient menacés. Pourquoi ont-ils attendu si longtemps pour brandir le flambeau de la liberté pédagogique et ne pas être intervenu quand les instructionnistes faisaient l’objet de tracasseries diverses ?

Lorsqu’on revendique une liberté quelle qu’elle soit, il faut être convaincu qu’elle vaudra pour tout le monde dans les limites qu’on lui a fixées. Mais encore faut-il que ces limites soient explicites.

Jusqu’à aujourd’hui, on peut dire que la liberté pédagogique existe dans la mesure où elle est en accord avec les idées pédagogiques de l’IEN. Et l’on sait qu’ils sont pour la plupart fortement influencés par les idées pédagogiques constructivistes. Comme l’écrivait Caroline Esbée dans un article sur la promotion des enseignants méritants [2] : « Nombre d’enseignants gardent le sentiment que l’inspecteur vient surtout “porter la bonne parole”, niant leur liberté pédagogique et leur responsabilité individuelle. »

 

3.  Nouveaux programmes et liberté pédagogique

Les nouveaux programmes quant à eux disent laisser « le libre le choix des méthodes et des démarches, témoignant  ainsi de la confiance accordée aux maîtres pour une mise en œuvre adaptée aux élèves. La liberté pédagogique induit une responsabilité : son exercice suppose des capacités de réflexion sur les pratiques et leurs effets ». « Elle implique aussi, pour les maîtres, l’obligation de s’assurer et de rendre compte régulièrement des acquis des élèves. »

Le Président Sarkozy [3] précisait pour sa part : «  Vous garantirez la liberté pédagogique des enseignants, en contrepartie de quoi vous les évaluerez plus régulièrement sur la base des progrès et des résultats de leurs élèves. »

Voici donc apparaître une nouveauté : le lien entre la liberté des méthodes et les résultats obtenus chez les élèves. Toute liberté est garantie par les limites qu’on lui fixe et exige une responsabilisation de celui qui en jouit. Jusqu’à maintenant, elle relevait surtout de la législation relative aux fonctionnaires, à savoir qu’elle se terminait là où commençait celle de l’IEN, le supérieur hiérarchique des instituteurs, avec les inconvénients évoqués plus haut. D’où l’uniformité des pratiques dans le monde enseignant et une minorité de maîtres travaillant plus ou moins clandestinement, ou bien prenant le risque qu’une inspection se passe mal pour cause de pratique instructionniste par exemple.

Ce rapport aux résultats, complètement nouveau dans l’enseignement, fait débat. L’enseignement est une des rares disciplines étrangères et hostiles à la culture des résultats. Il est parfaitement admis qu’un enseignant soit noté sur le discours qu’il tient et sur son degré d’adhésion aux pratiques pédagogiques recommandées… mais il serait particulièrement choquant qu’il le soit sur les résultats et les progrès accomplis par ses élèves. C’est une singularité méconnue. Imagine-t-on un chirurgien qui opérerait sans se préoccuper du résultat final mais en privilégiant le mode opératoire ? Ou un médecin qui conseillerait un traitement non homologué ?

Pourquoi donc cette peur d’évoquer les résultats ? Curieusement, les plus inquiets sont ceux qui, depuis des années, clament les vertus des méthodes constructivistes qu’ils utilisent, même si les preuves de la baisse du niveau scolaire se multiplient. Quand on enseigne la lecture pendant 5/6 ans – ce qui est une des missions essentielles de l’école primaire – et qu’un trop grand nombre d’élèves ne savent toujours pas lire arrivés en 6ème, cela signifie – et ce n’est pas un truisme – que l’enseignement n’a pas été fait correctement. La situation est assez grave pour cesser désormais de faire l’autruche ; il est grand temps de voir les réalités et de donner enfin à d’autres pratiques pédagogiques le droit d’être mises en œuvre. En ce sens, les nouveaux programmes tentent de lancer l’idée du rapport qui peut exister entre les méthodes et les résultats. Il est dit dans les programmes que la liberté pédagogique est liée à « une capacité de réflexion sur les pratiques et leurs effets ». Cela est aussi nouveau que choquant pour certains, en particulier pour ceux qui considèrent la pédagogie comme une croyance qui, par essence, n’a pas besoin d’amener les preuves de ses bienfaits.

Notre position est favorable à cette liberté limitée par les résultats car nous savons bien qu’il y a des pédagogies efficaces et d’autres qui le sont moins. Nous savons aussi que l’enseignement explicite fait partie des pédagogies efficaces. Il risque alors d’obtenir enfin droit de cité et de sortir de l’ombre.

De nombreuses études ont été faites outre-Atlantique montrant que toutes les approches pédagogiques ne se valent pas en termes d’efficacité. Si cette idée arrive un jour à émerger dans notre pays, un grand pas sera accompli.

Notons cependant que, curieusement, la liberté pédagogique proclamée dans les nouveaux programmes n’existe pas pour les matières scientifiques où seules les pratiques de l’enseignement par la découverte de “La main à la pâte” semblent être admises.

 

4.  Qu’en sera-t-il demain ?

La question du choix, sous-jacent à toute liberté, reste essentielle si l’on veut que cette notion de liberté pédagogique ne soit plus seulement une formule creuse. Suis-je libre de choisir entre la couleur rouge et la couleur rouge ? Question particulièrement épineuse en ce qui concerne les jeunes enseignants. La formation (initiale ou continue) a pendant des années été aux mains du seul courant constructiviste. Quel choix a un jeune enseignant à qui l’on n’a montré qu’une seule famille de méthodes pédagogiques, celle centrée sur l’enfant, qui n’a pas eu connaissance des nombreuses enquêtes et études de terrain sur l’efficacité des pratiques, qui n’a eu pour formation qu’un catéchisme constructiviste ? Nous souhaiterions par conséquent que la formation en IUFM prenne en compte cela pour proposer aux jeunes un véritable choix.

Nous devons aussi utiliser, en plus de l’expérience des praticiens de terrain, les apports des sciences par la diffusion des résultats des dernières recherches. Sont concernées les disciplines comme les neurosciences, la psychologie cognitive, qui nous renseignent sur la manière dont fonctionne le cerveau et comment s’y font les apprentissages, ainsi que la recherche sur les effets des pratiques de classe. Des travaux sont menés mais comme ils ne vont pas dans le sens de la pensée dominante, ils restent pour le moment confidentiels. Sans parler bien sûr des enquêtes lourdes et nombreuses ayant été faites à l’étranger depuis les années 70 (Projet Follow Through entre autres). Dans le débat sur l’école, bien souvent, les a priori de départ tiennent lieu d’argumentation, et ne sont pas confrontés au réel. Les apports scientifiques permettent de ne pas faire un choix aléatoire qui serait basé sur une opinion plus que sur une vérité scientifique. Mais encore faut-il qu’ils soient connus et diffusés.

Tout cela fait que la liberté pédagogique liée aux résultats nous semble aller dans le sens d’une professionnalisation du métier : donner à chaque enseignant une responsabilité pédagogique, c’est-à-dire la possibilité de choisir, non pas un moyen parmi d’autres, mais le meilleur moyen. Pour cela, l’enseignant doit donc prendre appui sur des méthodes éprouvées, et l’éventail des méthodes doit être tamisé par l’expertise. Le professionnel est libre de ses méthodes, et en connaissance de cause, il saura choisir l’outil qui lui semble le mieux approprié à son objectif. Comme tout professionnel, il est normal qu’il rende des comptes sur sa mission.

Les nouveaux programmes, en liant la liberté pédagogique aux résultats, et en suggérant une réflexion sur le rapport moyen/résultats, posent la première pierre d’une démarche de professionnalisation du métier qui va dans le bon sens. Ils écartent l’idée que la liberté pédagogique puisse être un choix aléatoire de méthodes. C’est une liberté de professionnel.

Il y a souvent un grand décalage entre les textes officiels et leur application sur le terrain. Si le texte des nouveaux programmes nous paraît intéressant en particulier pour la question de la liberté pédagogique, il n’en reste pas moins que sa mise en place dépendra des enseignants, de la formation en IUFM, mais surtout du corps des IEN qui sont les supérieurs directs des enseignants en primaire. Comment réagiront-ils aux injonctions ministérielles ? Toute la question est là.

 


[1] . Inspecteurs de l’Éducation nationale.

[2] . Le Monde de l’éducation, novembre 2007.

[3] . Lettre de mission (juillet 2007).