Controverse - Enseignants efficaces et pédagogie “explicite” : et si l'évaluation altérait l'appréciation ? Imprimer Envoyer
Le débat - Antagonismes
Écrit par Form@PEx   
Dimanche, 17 Juillet 2011 13:16

Controverse

Enseignants efficaces et pédagogie “explicite” : et si l'évaluation altérait l'appréciation ?

Écrans de veille en éducation - Blog de la veille scientifique et technologique de l’INRP

 

Institut Français de l'Éducation

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Olivier REY (le 04.09.2008) :

La dernière livraison de la Revue française de pédagogie contient un passionnant article d’un chercheur de l’université Libre de Bruxelles, qui relance le débat sur les pratiques pédagogiques les plus efficaces (Vincent Carette, Les caractéristiques des enseignants efficaces en question, Revue française de pédagogie, n°162, 2008, pp.81-93).
En matière pédagogique, en effet, la tendance dominante depuis le début du XXIe siècle est à jauger l’efficacité des enseignements à l’aune des résultats à diverses épreuves d'évaluation (si possible standardisées).Quoi de plus logique apparemment ?
Dans une approche pragmatique, ne vaut-il pas mieux analyser les méthodes pédagogiques sur ce qu’elles produisent, plutôt qu’à partir de grandes polémiques idéologiques, difficiles à arbitrer faute de critères objectifs ?
C’est, à grands traits, le raisonnement qui préside aussi à la popularisation des grandes enquêtes internationales de type PISA. Celles-ci ont le mérite de décontextualiser le débat, en fournissant une mesure étalon en théorie indépendante des cultures et passions nationales.C’est aussi la démarche qui a sous-tendu plusieurs recherches sur les pratiques enseignantes les plus « efficaces », approche qu’on peut résumer sous le terme de « processus-produits » (où la qualité du processus est appréciée en fonction des produits). Or, qu’elles soient francophones ou anglo-saxonnes, les conclusions convergentes de ces études, ont dressé un portrait type de l’enseignement efficace qui est, paradoxalement, à l’inverse des propositions pédagogiques contemporaines issues de la recherche en éducation (de type socioconstructivistes pour faire court).
Les méthodes les plus efficaces seraient en effet caractérisées par un enseignement «explicite» («direct instruction» en anglais), très structuré étape par étape, voire directif, qui ressemble beaucoup à l’enseignement frontal traditionnel, centré sur les apprentissages fondamentaux, ménageant peu de place, par exemple, à la différenciation pédagogique ou l’approche en terme de «situations-problèmes».
Ce constat, qui a été aussitôt repris et utilisé par les courants les plus opposés aux pédagogies «modernes», légitime un certain retour aux « bonnes vieilles méthodes » (qui n’ont pas toujours à voir avec le modèle explicite), également à l’opposé de l’approche par compétences diffusée par les organisations internationales.
En Belgique, où une approche par compétences a justement été introduite depuis une dizaine d’années (décret missions 1997), Vincent Carette s’est interrogé sur cette distorsion et a émis l’hypothèse que ce sont les formes des évaluations (tests standardisés notamment) qui orientent en grande partie le jugement sur les pratiques les plus efficaces. Autrement dit, c’est parce que les évaluations ne sanctionnent que certains apprentissages liés aux pratiques d’instruction les plus directives qu’on établit cette corrélation plus générale entre des «bons résultats» et ces «bonnes pratiques pédagogiques».
Pour vérifier cette hypothèse, Vincent Carette a mené une enquête rigoureuse dans les classes de seize écoles primaires de la Communauté française de Belgique , en évaluant les compétences des élèves de plusieurs façons. L’originalité du dispositif consistait à ne pas se contenter des tests standards (généralement à base de questions fermées ou semi-ouvertes) mais à construire une ambitieuse évaluation de la capacité des élèves à maîtriser, choisir et mobiliser des procédures pour résoudre une situation inédite.
Sans entrer ici dans les détails et les exemples, exposés dans l’article de la RFP, il faut en retenir que l’hypothèse de départ est vérifiée. D’une part, la hiérarchie entre élèves qui maîtrisent le mieux les «procédures» de base (qu’évaluent surtout les tests traditionnels) n’est pas la même que celle entre élèves qui réussissent le mieux dans les tâches complexes (même s’il faut maîtriser un minium de procédures de base pour accomplir les tâches complexes).
D’autre part, et c'est le plus important, ce ne sont pas les enseignants les plus efficaces pour faire réussir aux procédures de base qui sont les plus efficaces pour faire réussir aux tâches complexes.
Les caractéristiques des enseignants efficaces jugés à l’aune des épreuves d’évaluation de compétences ne sont donc pas les mêmes que celles des enseignants efficaces jugés à l’aune des épreuves classiques d’évaluation inspirées par les principes de la pédagogie par objectifs.
Des premières conclusions qui, en tout état de cause, incitent à se méfier des conclusions abruptes et univoques concernant les vertus de la pédagogie «explicite»…

 

Bernard APPY (le 05.09.2008) :

Plusieurs enquêtes menées à grande échelle depuis le projet Follow Through ont démontré que la pédagogie explicite était incontestablement la pratique de classe la plus efficace. Je recommande à ce propos les travaux de l’équipe du professeur Clermont Gauthier (Université Laval – Québec). Que cela déplaise aux partisans du constructivisme, en Amérique du Nord ou en Europe, n’est pas surprenant. On retrouve dans cet article l’amalgame habituel - mais faux - qui ravale l’enseignement explicite à un enseignement traditionnel (« frontal »). Par ailleurs, comme l’efficacité se démontre par des tests d’évaluation, on décide que ces tests ne sont pas convenables et on en trouve d’autres plus favorables aux démarches constructivistes. Tordre la réalité pour imposer ses présupposés et ses convictions ne constitue pas vraiment une démarche scientifique. Ce qui intéresse les enseignants de terrain, comme moi, c’est la réalité des classes et les solutions pragmatiques pour que celles-ci fonctionnent mieux.
Cordialement.

 

Olivier REY (le 05.09.2008) :

Votre réaction est quelque peu en décalage avec l'article de V. Carette que, je vous l'accorde sans peine, vous n'avez encore pu parcourir. Celui-ci en effet est très équilibré (plus que mon article sans doute !), s'appuie sur une solide base empirique (ce qui n'est pas toujours le cas dans ces polémiques) et s'avère soucieux de coller autant que possible au "terrain". Il pointe également, à la fin de son article, les limites de sa propre enquête qui n'est qu'une première démarche exploratoire.
Par ailleurs, vous aurez vous-même remarqué que je précise que les "bonnes vieilles méthodes" n'ont pas toujours à voir avec l'enseignement explicite... même si leurs tenants peuvent à l'occasion utiliser ces arguments pour "affaiblir" tout ce qu'ils considèrent comme des pédagogies "soixante-huitardes".
Enfin, sur le fond, il apparaît utile, à l'heure où les raisonnements appuyés sur les résultats de type "tests standardisés" se multiplient, d'engager aussi une vraie réflexion sur ce qu'est l'évaluation des résultats, pour ne pas tomber, comme dans certaines écoles américaines, au "teaching for the tests" qui est fortement dénoncé.

 

Françoise APPY (le 05.09.2008) :

Quelques remarques que m’inspire votre post. Je suis enseignante en primaire et praticienne de l’enseignement explicite.
● Si l’on suit votre critique, l’enseignement explicite donnerait de bons résultats en raison de l’adéquation entre les tests d’évaluation et ce qui a été enseigné. (En pédagogie explicite on appelle cela l’alignement curriculaire). Mais alors, comment expliquer que les pratiques constructivistes, qui de loin sont dominantes voire hégémoniques chez nous et ailleurs, donnent d’aussi mauvais résultats, alors qu’elles aussi sont évaluées par des tests conçus ad hoc ?
● S’il est vrai que certains courants pédagogiques opposés aux pédagogies « modernes » (les guillemets sont mérités, étant donné qu’elles datent maintenant d’une bonne quarantaine d’années) se revendiquent de la plus pure tradition, d’autres ont à cœur d’utiliser une pédagogie de transmission efficace, s’appuyant sur les recherches les plus récentes de la psychologie cognitive et des neurosciences, centrée sur la compréhension et la maîtrise des savoirs et des compétences, tournée vers l’avenir et préparant les élèves à profiter au mieux de l’enseignement secondaire : les partisans de la pédagogie explicite.
● Effectivement, l’enseignement explicite n’est pas l’enseignement traditionnel. La personne du maître n’est pas au centre, il ne fait pas de cours magistral et, sans entrer dans les détails, les techniques pédagogiques ne sont pas les mêmes. Enfin, lorsqu’un enfant échoue en pédagogique explicite, la faute revient à l’enseignant et non à l’élève comme c’est le cas en pratique traditionnelle.
● Pour la question de l’approche différenciée, l’enseignement explicite reconnaît que certains élèves ont besoin de plus de temps pour comprendre, pour retenir et pour développer les compétences requises, c’est pourquoi le soutien en petits groupes y est fortement conseillé.
Rien ne prouve à l’heure actuelle que ce que l’on appelle la pédagogie différenciée ait donné les preuves de son efficacité.
Beaucoup d’enseignants du primaire sont las des querelles idéologico-pédagogiques et voudraient bien qu’on leur laisse enfin utiliser la méthode pédagogique de leur choix, dès lors qu’elle porte ses fruits. Je partage entièrement cet avis mais je sais aussi que pour choisir, il faut avoir à sa disposition un panel varié de méthodes. Or en l’état actuel des choses, les jeunes enseignants que je rencontre ne connaissent qu’une façon d’enseigner, le constructivisme, qu’on leur a présenté non comme une option pédagogique, mais comme une vérité …
Ceci dit, je lirai avec intérêt les conclusions de V.Carette.
Bien à vous,
Françoise Appy

 

Steve BISSONNETTE (le 15.09.2008) :

J'ai lu le texte de Carette. Cette recherche présente des lacunes très importantes sur le plan méthodologique. Il ne s'agit pas d'une recherche expérimentale avec un groupe de comparaison utilisant un prétest et un postest comme plusieurs recherches réalisées sur l'enseignement efficace ayant montré les effets positifs de l'enseignement explicite.
De plus, dans l'étude de Carette les pratiques d'enseignement efficace ont été identifiées uniquement à partir d'un questionnaire et d'entrevues donc sans aucune observation directe en salle de classe!
Or, il est bien connu dans le domaine de la recherche sur l'enseignement qu'il existe généralement un écart important entre les pratiques enseignantes déclarées et celles effectives. Les pratiques enseignantes efficaces (enseignement explicite) identifiées au cours des 35 dernières années proviennent d'études ayant effectué des observations directes en salle de classe, ce que monsieur Carette semble visiblement ignorer, comme en témoigne son article dans la Revue française de pédagogie! Ces études nommées processus-produits réalisées par observations directes en salle de classe ont identifié les comportements et les stratégies enseignantes ayant une corrélation avec le rendement des élèves. Ces études corrélationnelles ont ensuite été suivies de recherches expérimentales qui ont confirmé l'efficacité des stratégies préalablement observées sur le rendement des élèves.
Ce n'est certainement pas avec une telle recherche ayant autant de limites méthodologiques et une méconnaissance aussi flagrante des recherches sur l'enseignement efficace, en particulier sur les études de type processus-produits, qu'il est possible de remettre en question 30 ans de recherches anglo-saxonne sur l'enseignement efficace ou enseignement explicite!
Il est préférable de se fixer aux travaux du National Reading Panel (2000), du National Mathematics Panel (2008) et du National Literacy Panel (2007) qui ont tous identifié l'enseignement explicite comme étant une pédagogie efficace auprès des élèves pour l'apprentissage de la lecture et des mathématiques, et ce en particulier auprès de ceux éprouvant des difficultés.
Veuillez noter que pour identifier les pratiques efficaces, ces comités ont sélectionné les recherches les plus rigoureuses au plan méthodologique. La recherche présentée par Carette n'aurait jamais été sélectionnée par ces divers comités!
Steve Bissonnette, Ph.D.
Prof. psychoéducation et psychologie
Université du Québec en Outaouais (UQO)
Gatineau, Québec, Canada, J8X 3X7

 

Vincent CARETTE (le 15.09.2008) :

Étant l'auteur de cet article, je me permets de réagir aux commentaires « rageurs » de Steve Bissonnette. Ces propos me paraissent inquiétants de la part d'un représentant du monde scientifique. En quelque sorte, nageant dans un positivisme intégriste, les lacunes méthodologiques de la recherche que je souligne moi-même dans cet article seraient suffisantes pour annuler la question que je pose. Car en fin de compte, la seule prétention de cette recherche est de poser la question du rôle du type d'épreuves d’évaluation dans les recherches processus-produits. Et les résultats de mes investigations dans le cadre de l’approche par compétences en Communauté française de Belgique conduisent seulement et humblement à souligner que cette question est sans doute loin d'être anodine. Les recherches qu'ils évoquent comme étant les seules à pouvoir être considérées comme scientifiques n'interrogent pas le type d'évaluation utilisée.. Ne serait-ce pas un biais méthodologique qui annule la pertinence de ces mêmes recherches ? On peut se permettre au moins de poser la question.
Plutôt que de démolir le travail d'un collègue d’une manière peu conforme à son statut de PH.D. qu’il se plait d’indiquer, il serait sans aucun doute plus intéressant de discuter du fond de la question, chose à laquelle Bissonnette se refuse en jetant le discrédit sur des travaux qui ont reçu un bon accueil dans la communauté scientifique.
Vincent Carette PH D.
Prof.
Université Libre de Bruxelles
Belgique

 

Steve BISSONNETTE (le 15.09.2008) :

Monsieur Carette,
Comment ne pas être rageur, lorsque vous affirmez en page 89 de la revue française de pédagogie que : «De fait il apparaît défendable de déterminer les caractéristiques des classes performantes à des épreuves de compétences à partir d’un questionnaire et d’entretiens pour les comparer aux caractéristiques déduites des recherches « processus-produits » qui utilisent cette même méthodologie».
Cette affirmation est fausse comme en témoigne cet extrait de Barak Rosenshine (à paraître) : «These results come from research in classrooms that was designed to identify the instructional procedures used by the most successful teachers. In this research the investigators first gave pretests and posttests to a number of classrooms, usually 20 to 30 classrooms, and usually in reading or mathematics. After making appropriate adjustments for the initial ability of the students, the investigators identifies those teachers whose classes made the highest achievement gain in the subject being studied and those teachers whose classes made the least gain.
The observers then sat in these classrooms, and observed and recorded the frequency with which those teachers used various instructional behaviors. The observers usually recorded the to a student's answers. Many investigators also recorded how much time was spent in activities such as review, presentation, guided practice, and supervising seatwork. Some investigators recorded how the teachers prepared students for seatwork and homework. Other observers recorded the frequency and type of praise, and the frequency, type, and context of criticism. The overall attention level of the class, and sometimes, of individual students was also recorded. This information was then used to describe how the most successful teachers were different from their less successful colleagues». (p.2-3)
Rosenshine, B. (In press). Systematic Instruction. In T. L. Good (Ed.) 21st Century Education: A Reference Handbook. California: SAGE Publications
Vos propos sur les études processus-produits sont erronés et induisent les lecteurs de cette revue en erreur. Vous justifiez la méthodologie (questionnaire et entrevues) de votre étude en faisant une comparaison invalide avec les recherches de type processus-produits. Votre comparaison est fausse. Votre erreur est énorme monsieur.
Voilà ce qui m'amène à être rageur!

 

Bernard APPY (le 17.09.2008) :

La pédagogie explicite (sans les guillemets) est inconnue en France et il serait intéressant de savoir si les rares qui en parlent ont lu les travaux fondateurs de Barak Rosenshine ou ceux des chercheurs canadiens (Clermont Gauthier, Steve Bissonnette, Mario Richard) qui ont fait connaître au monde francophone ces pratiques d’enseignement.
Le projet Follow Through qui, rappelons-le, reste la plus vaste expérimentation menée à grande échelle dans le domaine de l’éducation, a clairement démontré qu’il fallait enseigner explicitement aux élèves une démarche d’apprentissage rigoureuse, qu’ils devaient ensuite appliquer de façon systématique dans l’acquisition des matières de base. Cette façon d’enseigner a une incidence importante sur les habiletés cognitives et affectives des élèves. Et cela, au grand étonnement des constructivistes et des tenants des pédagogies par découvertes qui pensaient avoir le monopole dans ces domaines. En effet, les connaissances solidement et durablement acquises permettent le développement assuré des habiletés cognitives comme le raisonnement non verbal ou la résolution de problèmes. Quant à l’estime de soi qui est au centre des habiletés affectives, elle ne se construit que par la réussite dans son travail. Et cette réussite est le résultat d’un enseignement efficace, pas du climat non directif régnant dans la classe.
Enseignant dans le Primaire depuis plus de trente ans, je le constate tous les jours auprès de mes élèves.
Bernard APPY
Directeur d’école primaire

Françoise APPY (le 17.09.2008) :

« Est-ce que par exemple la confiance en soi est l'un des facteurs essentiel de la réussite personnelle ? »
L’estime de soi est l’un des facteurs importants dans l’acquisition des divers savoirs et compétences. Mais elle ne s’acquiert ni par décret, ni par démagogie. Elle est le fruit de la réussite scolaire. Les conclusions du projet Follow Through (qui avait pour but de mesurer les habiletés de base, les habiletés intellectuelles et les habiletés affectives dont l’image et l’estime de soi), montrent que les méthodes pédagogiques efficaces ont un impact sur ces trois points, y compris le dernier. C’est la réussite scolaire qui provoque l’estime de soi.
Bien entendu, les détracteurs de l’enseignement explicite peuvent nier la validité des résultats dans des débats qui leur sont propres, il n’en reste pas moins que les praticiens de l’enseignement explicite, et nous sommes aujourd’hui de plus en plus nombreux, remarquent les nombreux bienfaits de cette façon de pratiquer : des résultats avérés, un climat de classe propre à l’étude, un plaisir d’apprendre que certains élèves avaient perdu de vue, une confiance en soi grandissante, une attitude active par rapport aux apprentissages.
Le vécu en salle de classe, ne doit pas être tenu pour quantité négligeable car c’est là que se fait l’enseignement quotidiennement. Les enseignants professionnels que nous sommes, choisissent en toute liberté et connaissance de cause leur méthode d’enseignement. Ils assument leur choix et doivent en rendre compte. Quel meilleur compte rendu que celui des résultats obtenus et des progrès réalisés ?
Il semblerait que l’enseignement explicite commence à en inquiéter certains. Pourquoi une méthode d’enseignement dont on a montré l’efficacité, qui fonctionne réellement dans les classes avec succès, subit-elle un tel procès d’intention ? Alors que l’enseignement constructiviste, dont on sait maintenant les dramatiques conséquences, reste toujours le dogme inébranlable. Certains redouteraient-ils la concurrence ? D’autres renonceraient-ils à la mission éducative de l’école pour tous les élèves? Ou bien simplement, sont-ils tellement influencés par leurs a priori idéologiques qu’ils ont perdu pied avec le monde réel ?
Françoise Appy

 

Gilles DELANOUE (le 05.11.2008) :

Je m'étonne toujours de la virulence des propos dans les débats pédagogiques et de l'utilisation des termes "montrer", "démontrer" dans le domaine des sciences humaines dans lesquelles il me semble que le relativisme est sans doute plus de rigueur.
Vouloir prouver l'existence d'une "méthode" valable pour tous les élèves, à tous les niveaux, dans tous les domaines disciplinaires me semble illusoire et même sans doute assez vain.
Pourquoi ne pas rester sur le mode du partage d'expériences, de propositions qui peuvent fonctionner ici et maintenant et laisser ainsi chaque enseignant puiser dans ces multiples ressources en fonction des situations qu'il rencontre. N'est-ce pas cela la compétence professionnelle recherchée loin de toutes les querelles dévastatrices ?

 

Bernard APPY (le 07.11.2008) :

Justement, il faut bien que les études menées par les chercheurs sérieux « montrent » un certain nombre de résultats sur lesquels les praticiens de terrain (dont je suis) puissent s’appuyer. Il ne s’agit pas de trouver une méthode « valable ». Il s’agit de déterminer quelles sont les pratiques de classe les plus efficaces. C’est justement ce que nous attendons du monde de la recherche.
Il existe un manque de professionnalisation invraisemblable dans notre métier. Cela provoque un grand nombre de problèmes, notamment auprès de certains parents d’élèves qui ne nous prennent pas au sérieux et qui ne se privent pas de nous indiquer plus ou moins aimablement ce que nous devrions faire en classe. Un médecin ou un avocat peuvent s’appuyer sur une base de connaissances constitutives de leur profession. Les instituteurs non. Ils ne peuvent s’appuyer que sur leur expérience. Faudrait-il donc attendre d’avoir 25 ou 30 ans de métier pour devenir un bon maître ?
Depuis une bonne trentaine d’années, la formation initiale – qui ne remplit d’ailleurs pas son office - n’offre aux futurs maîtres que le constructivisme pédagogique. Cette option est bien réductrice, surtout en considérant les résultats obtenus qui sont maintenant connus de tous. La liberté pédagogique voudrait au contraire que les maîtres aient le choix entre plusieurs façons d’enseigner, comme de vrais professionnels. C’est pourquoi ces différentes techniques devraient obligatoirement faire partie de notre formation. Dans cet objectif, nous sommes quelques-uns à tenter de promouvoir la pédagogie explicite.
Tant que nous n’aurons pas une approche plus professionnelle de notre métier, tant que le monde de la recherche restera aussi étanche aux praticiens, tant que nous ne renoncerons pas aux postures idéologiques pour une approche réellement pragmatique, tant que nous nous contenterons du « relativisme » en niant les évidences, tant que les constructivistes refuseront toute concurrence des instructionnistes, j’ai bien peur que les querelles ne perdurent…
Bernard Appy
Directeur d’école primaire

 

Françoise APPY (le 07.11.2008) :

Les praticiens de la pédagogie explicite n’ont pas pour but d’imposer leur méthode à tous les enseignants ; ils veulent simplement, au nom de la liberté pédagogique, pouvoir la pratiquer sans être inquiétés ni poursuivis pour hérésie. Ils proposent de la faire découvrir à ceux qui en sont curieux. Beaucoup d’entre eux ont assez souffert du « pédagogiquement correct » constructiviste pour ne pas vouloir à leur tour sombrer dans un travers identique. Nous sommes donc bien dans un partage d’expériences. Mais pour partager, il faut prendre le temps de faire connaissance.
Pour dire les choses autrement : la liberté pédagogique doit s’appliquer à toutes les formes pédagogiques. Oublions donc les « démonstrations » ou autres enquêtes, gardons les pour un usage interne. Mais ayons ceci à l’esprit : les résultats seuls seront les juges. Les juges de la compétence professionnelle de l’enseignant. Peu importe les moyens, concentrons-nous sur la fin.
Françoise Appy

 

Martine SZTERENBARG (04.01.2010) :

A lire ces échanges, quelques reflexions : Plutot que de se référer à une seule modalité de travail en classe, n’est ce pas plutôt de diversité didactique et pédagogique dont nous avons besoin, dont les élèves ont besoisn ?
Je pense qu’il s’agit plutot de faire appel à des alternances des modalités didactiques à mettre en oeuvre si l’on veut construire des savoirs solides tout en tenant les contraintes du temps et du programme. Cela implique donc alors de faire une analyse de sa discipline, de ses concepts clefs et noyaux dans le réseau conceptuel des savoirs visés. Puis selon cette analyse se donner des priorités. Et c’est cela parfois qui est le plus difficile : accepter de se donner parfois plus de temps pour que l’élèves construisent les concepts en étant centre de la construction du savoir donc de manière constructivistes et puis être transmissifs (vous dites dans un enseignement explicite) sur d’autres points du programme qu’il faut que les élèves acquièrent mais qui ne sont peut-être pas fondamentaux dans l’architecture du savoir.
C’est donc tenir les deux bouts qui me semble fondamentale et non de reproduire systématiquement une seule manière d’enseigner et de faitre construire les apprentissages.C’est de cette souplesse et richesse dont nos enseignants ont le plus besoins, me semble-t-il.
Cordialement, Martine SZTERENBARG (professeur de biologie à l’IUFM de Créteil).

 

Françoise APPY (le 08.01.2010) :

Je ne suis pas hostile à ce que vous appelez diversité pédagogique, même si la définition que vous en donnez reste un peu floue. Toutes les pratiques pédagogiques devraient avoir droit de cité dès lors que les résultats sont au rendez-vous, dès lors qu’elles ont été passées au crible de l’expérience, y compris celles qui peuvent me sembler complètement saugrenues, ou aller à l’encontre de ma personnalité, de mes idées, de ma vision du monde etc. L’enseignant est responsable des moyens qu’il utilise et du choix des meilleurs moyens possibles, c’est-à-dire des approches didactiques ayant les meilleurs effets.  Mais nous savons bien que toutes les approches ne se valent pas sur le plan des résultats obtenus. Nombre d’analyses et méta-analyses sont maintenant là pour le confirmer.
Par ailleurs, je ne comprends pas bien votre dialectique entre des concepts qui seraient « construits » par les élèves d’une part, et des savoirs « non fondamentaux dans l’architecture du savoir » que l’on pourrait faire acquérir de manière transmissive d’autre part.  Comme si vous consentiez, un peu à contrecœur, à une démarche transmissive pour des choses peu importantes.  J’aimerais bien savoir quelles sont ces choses si peu fondamentales…
L’architecture cognitive humaine est fondée sur une mémoire à long terme et une mémoire de travail éphémère et limitée en contenu. Apprendre signifie engranger des informations en mémoire à long terme afin de les mobiliser à tout moment et de les interconnecter, pour pouvoir raisonner, être critique, créatif … En effet, pour parvenir au raisonnement et à l’argumentation, il faut avoir à sa disposition un certain nombre de savoirs, et d’habiletés et être capable de les mobiliser tout de suite.  Les concepts dont vous dites qu’ils seront construits par les élèves, le seront bien en effet, mais ils n’apparaîtront pas ex-nihilo. Ils s’appuieront sur les informations possédées en mémoire longue. Celles-ci auront été transférées depuis la mémoire longue de quelqu’un qui sait. Directement.
En l’état actuel des choses, je ne pense pas que le syncrétisme que vous proposez soit efficace. D’abord, il faudrait en faire une description précise ; ensuite, il faudrait expérimenter et observer les résultats. Enfin, sur un plan cognitif, la démarche constructiviste (affirmant que la procédure de découverte, la résolution de situations problèmes sont des outils propices aux apprentissages) est antinomique d’une démarche instructionniste (affirmant que la transmission directe et explicite est un outil propice aux apprentissages) transmettant des connaissances et habiletés,  dont la résultante donne la maîtrise de compétences.
Pour conclure sur la souplesse et la richesse dont les enseignants ont besoin, je pense que la plus belle avancée serait de les conduire à raisonner en terme d’efficacité et de leur apprendre à ne jamais tenir pour vraie une procédure pédagogique n’ayant pas fait ses preuves. Mais il faudrait pour cela que l’institution fasse elle aussi son chemin de Damas.
Cordialement.

 

Bernard WEMAGUE (le 11.07.2011) :

Brève synthèse du débat sur l’efficacité de l’enseignement explicite.
L’essentiel de cette passionnante discussion sur l’efficacité de l’enseignement explicite ayant été dit par les principaux protagonistes, je me contenterai d’une très courte synthèse critique de leurs positions respectives.
Vincent Carette s’est fondé sur la forme d’épreuve la plus susceptible d’attaques, le test standardisé, pour évaluer l’efficacité de la pédagogie explicite et remettre en cause la validité des résultats produits.
Steve Bissonnette lui reproche de s’appuyer de manière partielle sur une seule forme d’épreuve d’évaluation et de ne pas tenir compte en particulier des conclusions incontestées des recherches expérimentales étayées par l’observation directe en salle de classe.
De leur côté, Françoise Appy et Bernard Appy font valoir non seulement des recherches expérimentales dont les leurs propres en classe en tant qu’enseignants, mais encore les acquis des recherches cognitives de ces dernières décennies.
En schématisant, Vincent Carette développe des arguments à caractère méthodologique ; Steve Bissonnette, également des arguments d’ordre méthodologique ; Françoise Appy et Bernard Appy, des arguments méthodologiques, cognitifs et affectifs.
Autant les arguments des adversaires de l’enseignement explicite paraissent surprenants pour qui est au courant de l’évolution de la pensée scientifique et épistémologique contemporaine, autant ceux de ses partisans sont convaincants aussi bien par les succès scolaires que par les fondements scientifiques et épistémologiques qui le sous-tendent.
Par rapport aux arguments scientifiques en faveur de la pédagogie explicite, Françoise Appy et Bernard Appy tiennent un discours que seule une méconnaissance de la part de leurs opposants peut mettre en doute. Force est de constater que les recherches cognitives qu’ils s’attachent à mettre en avant semblent ignorées des adversaires de la pédagogie explicite. Cela posé, il importe de savoir que le qualificatif d’explicite est un trait scientifique et didactique élémentaire et fondamental. D’où l’efficacité pour ainsi dire intrinsèque de l’enseignement explicite.
L’avenir de l’éducation est à la pédagogie explicite, validée par les recherches neurocognitives et les effets optimaux des pratiques enseignantes.
Par nature, la pédagogie explicite présente la spécificité d’ajuster les contenus d’enseignement aux mécanismes de l’apprentissage appliqué à la formation éducative. A ce titre, elle va à rebours des pédagogies traditionnelles dans lesquelles c’est les élèves qui doivent s’adapter aux outils mis en œuvre.
Bernard Wemague, Linguiste-Méthodologue

 

Françoise APPY (le 17.07.2011) :

Merci pour cette synthèse très explicite (!). Vous soulevez un point très intéressant, celui de la méconnaissance de l’enseignement explicite par ceux qui s’y opposent.
Aussi curieux que cela puisse paraître, les plus virulents opposants ne prennent pas la peine de s’intéresser à la question pour démonter les arguments développés. Nous avons vécu cela, Bernard et moi, lors de notre expérience associative et dans nos efforts pour faire connaître cette pratique. Cela nous a permis de constater que tout repose sur le statut que l’on accorde aux données probantes, exactement comme l’écrivait Slavin en 2002 : « La révolution scientifique qui a profondément transformé la médecine, l’agriculture, les transports, la technologie et d’autres champs au cours du XXe siècle a laissé complètement intact le champ de l’éducation ».
Tant que les données probantes n’auront pas leur place dans l’enseignement comme elles l’ont dans d’autres disciplines, le débat pédagogique n’avancera pas. En l’état actuel des choses, les partisans de l’enseignement explicite s’appuient sur des données probantes alors que les opposants (constructivistes et traditionalistes) s’appuient sur une conception idéologique de l’école et sur des hypothèses pédagogiques n’ayant fait l’objet d’aucune vérification à large échelle (ce qui ne les empêche pas d’abuser de la phrase « la recherche a montré que »). Les travaux du psychologue David C. Geary en sont un excellent exemple ; ils ont montré l’inadéquation du modèle d’apprentissage par découverte et la pertinence d’un modèle explicite et structuré. C’était un véritable pavé dans la mare et on aurait pu imaginer l’émoi causé dans le monde éducatif, ne serait-ce que pour contester ces découvertes. Or, il n’en fut rien. Quel enseignant en primaire a entendu parler de ces découvertes ? Quel IEN ? Quel formateur ? Quel module de formation continue a choisi de tenir les enseignants informés de ce type d’avancée dans la recherche ? Je n’en connais aucun. On pourrait dresser une longue liste d’autres exemples. Ce qui soulève un autre problème, celui de la circulation des informations.
Nous avons donc aujourd’hui une minorité de personnes s’appuyant sur des preuves reconnues et actualisées pour choisir une méthode pédagogique, et une grande majorité pensant que l’idéologie est suffisante. En filigrane, se dessinent deux conceptions de l’école revendiquant toutes deux la formation du citoyen éclairé : l’école comme lieu d’instruction ou l’école comme lieu d’épanouissement de l’enfant. Dans cette dernière, les données probantes n’ont pas lieu d’être et l’efficacité n’est pas à l’ordre du jour.
Par conséquent, le véritable débat n’est peut-être pas celui que l’on croit, entre partisans d’une méthode x et partisans d’une méthode y. Mais entre les tenants de l’introduction des données probantes en éducation et ceux qui n’en veulent pas. Ce qui indéniablement conduit à redéfinir les tenants et les aboutissants de l’école.
Cordialement,
Françoise Appy

 
 
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