Livre : La guerre des écoles (Gérald Boutin) Imprimer Envoyer
Le débat - Antagonismes
Écrit par Bernard Appy   
Mercredi, 19 Septembre 2012 00:00

Livre
Acheter le livre

--- --- --- --- --- --- --- --- --- --- --- --- --- --- --- --- --- --- -- --- --- --- --- --- ---

Gérald BOUTIN : Il détient un doctorat de l'Université de Fribourg. Professeur titulaire au Département d'éducation et de forma­tion spécialisées de l'Université du Québec à Montréal, il fait aussi partie du Laboratoire de recherche et de formation de l'Université de Paris-X, à titre de chercheur invité. Auteur de nombreux ouvrages dans le domaine de l'éducation et de la méthodologie de recherche, il poursuit actuellement des recherches sur la violence scolaire, le raccrochage des jeunes de 16 à 20 ans ainsi que sur l'éducation parentale. Ses fonctions d'enseignant et de chercheur l'ont amené à l'étude comparée de plusieurs systèmes éducatifs.

Résumé :
Le domaine de l'éducation est aujourd'hui plus que jamais traversé par deux courants de pensée adverses : d'un côté, l'École tradi­tionnelle, de l'autre, l'École nouvelle. Conservateurs et novateurs, ces derniers souvent qualifiés de pédagogistes, se livrent un combat perpé­tuel qui se déroule sur la place publique prenant souvent des formes extrêmes. Pour les premiers, l'école a pour mission de transmettre des connaissances ; pour les seconds, d'accompagner l'élève dans la construction de ses savoirs. Mais qu'en est-il véritablement ? Peut-on trancher de façon radicale entre ces positions ? En un mot, peut-on opter pour une pensée unique qui donnerait raison de façon définitive aux tenants de l'innovation à tout prix et éviterait toute prise en consi­dération des acquis du passé ? Peut-on se contenter d'un statu quo qui s'opposerait à tout changement, si pertinent soit-il ? Ces questions épineuses concernent la plupart des pays industrialisés aux prises avec une « crise de l'École » dont on saisit de plus en plus l'importance.
S'appuyant sur des sources de première main, l'auteur adopte une position qui se situe bien au-delà de la simple confrontation, des réponses toutes faites, du « prêt à penser ». Il aborde son sujet dans une perspective internationale et souligne les correspondances entre l'Amérique du Nord et l'Europe, et en particulier entre le Québec, la France, la Suisse et la Belgique. Son livre dépasse largement le cercle des « experts en éducation », il s'adresse aussi aux intervenants sociaux et aux parents, bref, à tous ceux qui veulent mieux saisir les enjeux actuels et futurs de l'éducation.

 

Commentaire :

“La guerre des écoles” est celle qui oppose l’école de la transmission des connaissances aux élèves à l'école de la construction des savoirs par l'apprenant. Pour l’auteur, c’est l’École traditionnelle contre l’École nouvelle. Pour moi, c’est l’opposition radicale entre les instructionnistes et les constructivistes. Réduire les instructionnistes aux seuls traditionalistes est une erreur qui, même si elle est classique, témoigne d’une méconnaissance surprenante du mouvement instructionniste. En effet, les enseignants explicites sont des instructionnistes mais ils n'ont que peu à voir avec les conservateurs nostalgiques de l’école d’autrefois.

J’avoue que cet amalgame m’a gêné tout au long du livre. L’auteur reconnaît bien volontiers que le constructivisme pédagogique n’est pas univoque. Il aurait été également mieux inspiré de parler d’instructionnisme, en ne limitant pas ce dernier au seul enseignement traditionnel.

L’auteur considère avec raison que les deux approches pédagogiques sont antinomiques : « Les oppositions entre l’École nouvelle et l’École traditionnelle se cristallisent autour des points suivants : les finalités de l’éducation, la méthode, la conception de l’enfant, la conception du programme, la conception de l’école, le rôle de l’enseignant, la discipline, la démarche pédagogique. » Autant dire une opposition complète sur tout ce qui est essentiel. Personne ne pourrait le contester. Néanmoins, on sent comme un regret qui revient en boucle tout au long du livre : l’absence de dialogue entre les uns et les autres. Ainsi, lit-on dans l’épilogue : « Les positions radicales ont trop souvent tendance à bloquer le dialogue entre les partisans d’une école axée davantage sur la transmission des connaissances et ceux qui militent en faveur de leur construction par l’élève lui-même avec le simple accompagnement des éducateurs parents et enseignants. » Ce que l’auteur déplore de bout en bout…

Mais comment faire dialoguer des gens qui font peut-être les mêmes constats mais qui proposent, pour remédier aux problèmes éducatifs, des solutions parfaitement inconciliables ? Il y a là une sorte d’angélisme qui ne mène pas à grand-chose.

D’autant plus que les jeux sont faits : « Cette querelle permanente se retrouve pour une bonne part à la base de la crise scolaire que vivent actuellement la plupart des pays industrialisés ou en voie de développement. Tout se passe comme s’il fallait choisir de façon radicale entre nostalgie du passé et fuite en avant. » Et le choix a été fait dans tous les pays évoqués dans ce livre : États-Unis, Québec, France, Suisse, Belgique. « Sous des formes plus ou moins déguisées, les réformes de l’éducation innombrables depuis le milieu du 20e siècle s’y réfèrent [à l’École Nouvelle] en donnant l’impression que ce retour à un ancien Nouvel Âge constituerait la voie par excellence pour régler les problèmes actuels. »

À ce choix fait par les États en faveur des pratiques constructivistes, il y a deux raisons :
- d’une part, l’alignement sur ce que décident des institutions internationales (comme le Conseil de l’Europe ou l’OCDE) : « La plupart des pays industrialisés (…) suivent généralement les principes de base énoncés par l’OCDE : uniformisation des pratiques, mise en perspective d’un modèle paradoxal combinant socioconstructivisme, approche par compétences et alignement de l’école sur la loi du marché. » ;
- d’autre part, le lobbying des partisans du constructivisme radical : « Dans la plupart des pays (…), il s’est trouvé de nombreux “experts en éducation” pour convaincre les pouvoirs en place de souscrire aux dogmes de la nouvelle pédagogie en insistant sur le rejet de la transmission des connaissances. »

Ajoutons à cela le pouvoir de séduction de ces idées qui se parent de générosité et de bons sentiments pour devenir la “référence ultime” et, disons-le, très souvent unique : « L’École nouvelle, même si elle ne constitue pas un mouvement univoque, continue de réunir autour de certaines idées maîtresses un nombre important d’enseignants et de théoriciens qui en font leur référence ultime. »

Comment ne pas succomber ? « Après la Première Guerre mondiale qui avait dévasté l’Europe, l’École nouvelle fait naître l’espoir d’un monde pacifique. La volonté de recourir à l’éducation pour contrer de telles catastrophes venait en son temps. On veut former des individus capables de mettre fin aux guerres et d’organiser, par la compréhension mutuelle, un monde meilleur. » D’où le ralliement massif de tous les progressistes ou qui se déclarent tels. Encore aujourd’hui, un siècle plus tard…

De ce choix en faveur du constructivisme, il résulte partout un « échec scolaire endémique ». Qu’il est de plus en plus difficile de nier, même quand on est de mauvaise foi.

Le monde de la recherche, jusqu’alors très favorable au constructivisme (du moins c'est ce qu'on disait), affirme maintenant tout l’inverse et suggère de recourir aux pratiques explicites pour établir un enseignement efficace.

« Reste néanmoins que des recherches, de plus en plus nombreuses, remettent en question l’approche fondée sur la construction des connaissances plutôt que sur leur transmission. Il y a fort à parier que le courant en faveur de l’enseignement dit “explicite” a un bel avenir devant lui. Ce mode d’enseignement, qui se rapproche fortement du modèle classique d’enseignement axé sur la transmission des connaissances, semble aujourd’hui répondre de plus en plus aux attentes de beaucoup d’enseignants et de parents qui n’adhèrent pas au dogme du constructivisme radical. Il aurait l’avantage selon ses partisans d’éviter la perte de temps en prenant en considération trois éléments essentiels de l’acte pédagogique : des objectifs clairement identifiés, une démarche d’apprentissage par étapes allant du connu à l’inconnu et enfin, une évaluation continue de l’acquisition des notions enseignées. »

Terminons donc sur ce pronostic que nous partageons pleinement. Nous laissant ainsi sur une bonne impression...

_________________________
La guerre des écoles – Entre transmission et construction des connaissances
Gérald BOUTIN
Éditions Nouvelles, 2012, 121 p.

 
 
Une réalisation LSG Conseil.