La taxonomie d’Ellis et Fouts |
Pédagogie Explicite - Synthèses | |||||||||||||||
Écrit par Bernard Appy | |||||||||||||||
Lundi, 19 Avril 2010 00:00 | |||||||||||||||
TweeterLa taxonomie d’Ellis et FoutsSynthèse réalisée par Bernard Appy
(d'après Steve Bissonnette)
Dans le milieu de l’éducation, on entend souvent l’expression « Les recherches montrent que… ». Cette expression n’est pas toujours aussi éclairante qu’il y paraît à première vue. En effet, elle mérite d’être analysée de manière plus fine, car les recherches diffèrent selon le type de questions auxquelles elles tentent de répondre et les démarches méthodologiques qu’elles emploient pour y parvenir. Afin de mieux situer la robustesse des conclusions des recherches en éducation, deux chercheurs de l’Université du Tennessee, Arthur Ellis et Jeffrey Fouts, ont proposé un système de classification en trois niveaux :
Le niveau 1Il correspond à des recherches de base en éducation. Généralement ces recherches sont de type descriptif (qualitatif, quantitatif ou corrélationnel). Elles prennent la forme d’enquêtes, d’études de cas ou de recherches réalisées en laboratoire. Ce premier niveau de recherche est utile pour décrire un phénomène, observer une corrélation entre deux variables ou présenter une théorie. Les recherches de niveau 1 sont également utiles pour détailler avec minutie le contexte d’une expérimentation. Cette description précise fournit aux chercheurs des indications importantes. Cependant, ces recherches de niveau 1 ne permettent en aucun cas d’établir des liens de cause à effet ou de vérifier des hypothèses. Aucune théorie recommandant des pratiques pédagogiques particulières ne peut être mise à l’épreuve scientifiquement à l’aide d’études descriptives. W. Doyle (1986) précise que les recherches faites en laboratoire « restent trop éloignées des réalités scolaires quotidiennes pour pouvoir déboucher directement sur des recommandations pratiques ». La théorie développementale de Piaget représente un bon exemple de recherche de niveau 1. Les recherches de niveau 1 ont, en revanche, le mérite d’introduire des théories et de formuler des hypothèses en éducation. Cependant, pour être validées, celles-ci nécessitent la mise en place de protocoles expérimentaux de niveau 2.
Le niveau 2Les recherches de niveau 2 permettent d’établir une relation de cause à effet entre deux ou plusieurs variables. Elles sont expérimentales ou quasi expérimentales. Ce genre d’études implique qu’un modèle, une théorie ou une hypothèse, élaborés à partir de recherches descriptives (niveau 1), fassent l’objet d’une mise à l’épreuve en salle de classe à l’aide de groupes expérimentaux et de groupes témoins. De cette manière, différentes stratégies pédagogiques peuvent être mises en pratique afin de comparer et de mesurer statistiquement leurs effets sur la performance scolaire des élèves. Prenons un exemple : depuis longtemps, des recherches de niveau 1 ont permis d’établir une corrélation positive entre la performance scolaire d’un élève et son niveau d’estime de soi. Ces recherches ont démontré qu’à une performance scolaire élevée correspondait une estime de soi élevée, et vice versa. Au niveau 1, en observant le lien existant entre ces deux variables, on a posé l’hypothèse qu’en rehaussant l’estime de soi d’un élève on obtiendrait une amélioration de sa performance scolaire. Or, la réalisation de recherches de niveau 2 a permis de démontrer l’effet contraire : c’est plutôt par l’augmentation de ses résultats à l’école qu’un élève rehausse son estime de lui-même. Les recherches de niveau 2 offrent donc un degré de validité scientifique plus élevé que celles de niveau 1. Mais elles sont toutefois encore peu utilisées pour vérifier l’efficacité des stratégies pédagogiques. Ainsi l’analyse faite en 1999 par l’American Association of School Administrators indique que parmi 24 modèles pédagogiques utilisés dans les écoles américaines, 3 seulement (Success for All, Direct Instruction, High Schools That Work) possèdent une quantité minimale de recherches expérimentales de niveau 2 en démontrant l’efficacité.
Le niveau 3Les recherches de niveau 3 visent à évaluer les effets des interventions pédagogiques recommandées à partir des résultats obtenus par des études de niveau 2. Et cela, lorsqu’on les implante, par exemple, systématiquement et à large échelle dans des projets pilotes. Les recherches de niveau 3 sont de loin les plus fiables sur le plan scientifique, car plusieurs pratiques pédagogiques peuvent être comparées et testées simultanément. Les effets mesurés par ce type de recherches reflètent de manière plus globale et réaliste l’ensemble des apprentissages réalisés en classe. Prenons un exemple : une recherche de niveau 3 peut démontrer que l’utilisation de l’apprentissage coopératif en lecture, bien que permettant une augmentation de la compréhension (étude de niveau 2), occupe tellement de temps en classe qu’elle peut compromettre l’apprentissage des mathématiques et se traduire par une baisse des résultats. Quoique la réalisation de recherche de niveau 3 se révèle très coûteuse, il apparaît souhaitable d’y recourir pour éviter le piège de la généralisation abusive. En effet, combien de fois l’implantation d’une nouvelle stratégie pédagogique non validée par la recherche a-t-elle donné lieu au lancement d’une mode.
Comparaison avec la médecineB. Grossen indique que le système de classification élaboré par Ellis et Fouts partage de nombreuses similitudes avec le développement des connaissances scientifiques utilisées en médecine.
Le développement des connaissances scientifiques s’effectue également à travers un processus à trois niveaux :
Conclusion Les théories et les recherches qui se situent au niveau 1 ont leur valeur et leur utilité. Mais il est cependant essentiel, pour s’assurer que tous les élèves bénéficient d’un enseignement de qualité, de faire preuve d’une grande prudence avant de recommander à large échelle des pratiques pédagogiques qui n’ont pas encore été validées empiriquement par des recherches de niveaux 2 et 3.
Qualitatif et quantitatifL’utilisation de la taxonomie d’Ellis et Fouts ne signifie aucunement l’abandon des études qualitatives au profit des études quantitatives. Au contraire, dans le champ de l’éducation, les approches mixtes sont essentielles. Depuis plus d’un siècle s’affrontent les tenants des approches quantitatives et qualitatives. Chacune a des partisans prêts à défendre l’idée que sa méthodologie est la plus appropriée pour répondre aux besoins de la recherche. Une intégration de ces deux approches méthodologiques a été suggérée par Nathaniel L. Gage en 1986. La méthode mixte de recherche tire profit des avantages associés aux approches quantitatives et qualitatives. Les études quantitatives font ressortir des tendances centrales et des généralisations, comme c’est parfois le cas en recherche expérimentale. Cependant, il est essentiel de rester conscient qu’autour des moyennes, les sujets varient. Dès lors, l’utilisation judicieuse d’études qualitatives avec leurs descriptions critiques et minutieuses de ce qui est observé en classe apporte une plus grande profondeur à la compréhension des phénomènes analysés. Pour ce faire, les conclusions des recherches descriptives de niveau 1 doivent être mises en parallèle avec celles provenant des recherches de niveaux 2 et 3. Il devient ainsi possible de décrire les grandes tendances émanant d’un ensemble de résultats de recherches ainsi que leur complémentarité.
La méta-analyseLorsque l’objectif d’une étude est d’effectuer une synthèse de différentes recherches de niveaux 2 et 3 portant sur une même variable, il s’avère alors utile de consulter les études ayant eu recours à la technique de la méta-analyse. La méta-analyse est une recension d’écrits scientifiques qui utilise une technique statistique permettant de quantifier les résultats provenant de plusieurs recherches (niveaux 2 et 3) qui ont étudié une variable. Ce processus de quantification de l’effet de chacune des recherches permet de calculer l’effet moyen de la variable étudiée en matière d’écart-type. La méta-analyse débute par une recension d’études à l’intérieur desquelles les chercheurs ont comparé un groupe expérimental avec un groupe contrôle. Les résultats sont alors exprimés sous une forme standardisée qu’on appelle effet d’ampleur et qui correspondent à la différence entre la moyenne du groupe expérimental et celle du groupe contrôle, divisée par l’écart-type du groupe contrôle. L’effet d’ampleur de la variable étudiée est exprimé en fractions d’écart-type ou en centiles. La qualité d’une méta-analyse dépend de la qualité des recherches disponibles, mais aussi de la sévérité des critères méthodologiques adoptés par l’auteur dans la sélection des recherches. Ainsi, le recours aux méta-analyses permet de produire une synthèse quantitative des résultats provenant d’un ensemble de recherches ayant analysé l’effet d’une variable. Par conséquent, il devient possible d’identifier des tendances qui émergent à travers les différentes recherches étudiées. Les possibilités de généralisation associées à ce genre d’étude en sont alors accrues d’autant.
La méga-analyseIl est possible de regrouper les effets moyens de plusieurs variables provenant de différentes méta-analyses dans ce qui constitue une méga-analyse. Quoiqu’utilisée moins fréquemment, la méga-analyse représente une synthèse des résultats provenant de diverses méta-analyses. Les résultats ainsi regroupés peuvent être utilisés pour comparer et déterminer les interventions les plus efficaces sur un sujet donné. Plusieurs méga-analyses ont été réalisées sur l’efficacité de différentes pratiques auprès des élèves ayant des difficultés d’apprentissage et d’adaptation, ainsi que sur différentes innovations en éducation. La synthèse des résultats des méta-analyses doit être interprétée avec prudence. Toutefois, le regroupement des résultats de plusieurs méta-analyses au sein d’une même étude permet aux chercheurs d’identifier les grandes tendances émanant d’un ensemble de recherches. |